ASSURANCES COLLECTIVES ET RÉGIMES DE RETRAITE. Depuis le 11 décembre 2020, les employeurs peuvent mettre en place des régimes de retraite à prestations cibles (RRPC). Cette nouvelle formule, qui tente de ménager la chèvre et le chou, ne fait pas l’unanimité.
Le RRPC représente un compromis entre les régimes à prestations déterminées (RPD) et les régimes à cotisations déterminées (RCD). « Les cotisations de l’employeur restent fixes, mais celles des travailleurs et le montant de la rente peuvent varier un peu si l’on a besoin de s’ajuster à l’impact sur le régime des fluctuations des rendements boursiers ou d’un allongement de l’espérance de vie des retraités », explique Riel Michaud-Beaudry, professionnel de recherche à l’Observatoire de la retraite.
Un RRPC promet donc le versement de rentes jusqu’à la fin de la vie, comme un RPD, mais son montant peut varier en fonction du rendement du régime. Pour cette raison, la Fédération des travailleurs et travailleuses du Québec (FTQ) le dénonce. Le syndicat soutient que cette nouvelle formule n’assure pas un revenu prévisible aux retraités et place sur leurs épaules les aléas de rendement et de longévité. La FTQ lui préfère le Régime de retraite par financement salarial (RRFS), lequel permet à l’employeur de réduire sa part de risque avec une cotisation fixe tout en garantissant une rente de base aux retraités. Elle craint aussi que de futurs changements législatifs ouvrent la porte aux employeurs qui souhaitent forcer une transition d’un RPD à un RRPC.
Tout en continuant d’affirmer qu’un RPD représente la meilleure option pour les travailleurs, la Confédération des syndicats nationaux (CSN) a mieux accueilli l’arrivée des RRPC. La centrale syndicale juge qu’il s’agit d’une amélioration par rapport aux RCD et aux Régimes enregistrés d’épargne-retraite (REER) collectifs.
Dans les blocs de départ
Le nouveau régime en reste à ses balbutiements. « Depuis l’adoption de la loi, nous n’avons reçu qu’une demande d’enregistrement, soit pour le RRPC des employés syndiqués de l’aluminerie de Baie-Comeau, qui réunit près de 700 participants. », souligne le porte-parole de Retraite Québec, Frédéric Lizotte.
Il ajoute qu’avant l’adoption de cette loi, le Québec comptait déjà cinq RRPC dans le secteur des papetières, auxquels participent près de 5 400 travailleurs et travailleuses. En 2012, Québec a effectivement adopté une autre loi pour permettre l’établissement de ce type de régime dans certaines entreprises du secteur des pâtes et papiers, alors en proie à des difficultés financières. Dans certains cas, comme celui de Papiers White Birch, cela a donné lieu à de longues poursuites judiciaires. Les retraités ont perdu des proportions importantes de leur rente à la suite de la fermeture de leur RPD.
À l’aluminerie de Baie-Comeau, la RRPC a servi en 2019 à débloquer une négociation qui fonçait droit dans le mur en raison d’un désaccord à propos du régime de retraite. Alcoa ne voulait plus de son RPD et souhaitait le transformer en RCD, ce que les syndiqués refusaient. « Nous avons étudié d’autres solutions, comme le RRFS, qui nous apparaissaient peu satisfaisantes et c’est ainsi que le RRPC est arrivé sur notre radar », explique Michel Desbiens, président du Syndicat national des employés de l’aluminium de Baie-Comeau, affilié à la CSN.
Les syndiqués ont notamment reçu de la formation sur ces régimes, basée sur les expériences vécues dans le secteur des pâtes et papiers. Seul hic : à ce moment-là, ces régimes n’étaient pas autorisés au Québec, sauf dans certains cas précis. Le syndicat baie-comois et la CSN ont fait des représentations auprès du gouvernement pour accélérer l’adoption du projet de loi 68, qui encadre ces régimes. Cela leur a évité de devoir compter sur un régime transitoire avant de passer au RRPC, ce qui aurait eu des répercussions financières négatives.
Dans le cadre du nouveau régime, Alcoa cotise environ 15 % du salaire brut et les travailleurs, 8 %. Dans les deux cas, ces contributions dépassent celles de l’ancien régime. La rente cible est aussi plus élevée. « Cependant, le risque repose sur les travailleurs, reconnaît Michel Desbiens. Mais c’est le syndicat qui est preneur du régime, donc personne d’autre ne peut se mettre les mains là-dedans. » La loi prévoit que la gouvernance du régime peut relever de l’employeur, des participants ou des deux ensemble.
La loi permet également la création de régimes multiemployeurs, ce qui présente certains avantages. « Plus la caisse de retraite est grande, moins on paie de frais de gestion, en plus d’avoir accès à plus de catégories d’actifs », souligne Riel Michaud-Beaudry.
Selon le chercheur, l’introduction des RRPC représente une autre illustration du rejet, par les employeurs, des RPD. « Elle offre une voie mitoyenne ; plus avantageuse pour les travailleurs que les RCD, mais moins bonne que les RPD », estime-t-il.