ARCHITECTURE. Quoi qu’en dise le ministre des Transports du Québec, la densification ne se résume pas qu’à une tour de 12 étages. Elle peut emprunter différents visages. Comment faire pour la rendre désirable ? Tour de la question avec quelques experts.
La densité ne tient au fond qu’à un chiffre : celui du nombre d’habitants sur une superficie donnée. Pour augmenter ce nombre, de multiples avenues s’offrent aux concepteurs.
Cette densification peut se traduire par l’ajout d’un étage à une maison en rangée ou d’un logement au sous-sol d’une maison familiale. La transformation d’un bungalow en maison multigénérationnelle ou la conversion d’une ancienne manufacture en immeuble à logements constituent d’autres exemples.
La construction d’une unité d’habitation accessoire — un pavillon secondaire dans la cour, ce que permettent de plus en plus de municipalités au Québec — aussi. Ces façons de faire ne modifient pas radicalement le paysage.
La démarche n’est évidemment pas la même pour Gaspé que pour Montréal. Les besoins non plus. « On compte 1100 municipalités au Québec. Ce n’est pas toujours évident de densifier pour celles qui ne comptent pas d’urbanistes », admet Catherine Boisclair, coordonnatrice aux pratiques collaboratives à l’organisme Vivre en ville.
Repenser l’espace
Pour densifier de façon intelligente, une réflexion est de mise. « Il faut d’abord déterminer les secteurs propices à la densification. Ce sont souvent les quartiers centraux ou les anciens noyaux villageois qui sont près des emplois, du transport en commun et des services », avance Catherine Boisclair.
La spécialiste, qui a piloté l’initiative Oui dans ma cour ! de 2018 à 2022, constate que les municipalités qui réussissent à optimiser la qualité de vie en même temps qu’elles densifient sont celles qui ont investi dans l’amélioration de l’espace public.
« Elles repensent la rue, créent de nouveaux parcs ou les aménagent mieux, installent des places publiques et mettent le tout en réseau pour que ce soit agréable de se déplacer autrement qu’en voiture. Bref, elles donnent envie d’occuper l’espace public et d’aller dans des commerces », explique-t-elle.
Vision claire
Catherine Boisclair estime que les villes doivent encadrer le travail des promoteurs, privés et publics. « L’idée, ce n’est pas juste de parler de la hauteur. Pour la qualité du quartier, il faut aborder la largeur des bâtiments et leur marge de recul, le pourcentage d’espaces verts, la localisation et le nombre de stationnements… »
L’urbaniste émérite et professeur titulaire à l’École d’urbanisme et d’architecture de paysage de l’Université de Montréal, Gérard Beaudet, croit aussi que les municipalités ont un rôle crucial à jouer.
« Elles ne sont pas actuellement en position de leadership. Elles ne font qu’accompagner les promoteurs et après, elles s’étonnent quand ceux-ci tirent profit de leurs règles improvisées ou quand les projets sont reçus avec une tempête de protestation », déplore-t-il. La solution réside dans des règles du jeu bien définies, selon lui.
Parce que le Québec a été témoin de densification pas toujours heureuse, l’architecte Maxime-Alexis Frappier plaide également pour plus de leadership municipal. « Il faut faire mieux, proposer de la variété pour répondre aux besoins de différentes clientèles. Cela demande une vision et des balises », juge l’associé et président d’ACDF architecture.
Dialogue constructif
Gérard Beaudet considère que les projets gagneraient à être mieux expliqués. « Avec les outils graphiques d’aujourd’hui, on peut très bien prendre un morceau de quartier et montrer de quoi aurait l’air la densification, comment elle rendrait le quartier plus agréable sans pour autant perdre l’entièreté de ses attributs », dit-il.
En même temps, il ne se fait pas d’illusions. « La résistance à la densification est forte et elle va le rester. On l’a vue à Longueuil, à Saint-Lambert, à Saint-Bruno-de-Montarville, à Sillery. Ça va continuer de se manifester. »
Catherine Boisclair pense aussi que les principales craintes des citoyens, comme la perte d’intimité, les problèmes de circulation ou les changements au tissu social, vont perdurer. « Les gens auront ces préoccupations. On invite donc les municipalités et les promoteurs à les considérer dans la conception du projet et à s’assurer que les citoyens se sentent entendus », dit-elle.
L’employée de Vivre en ville propose en outre d’humaniser la discussion en expliquant pour qui on densifie. Est-ce que nos enfants ou celui qui fait notre café tous les matins pourront se loger dans notre ville où le prix des maisons explose, par exemple ?
« Ça ne veut pas dire qu’il faut accepter n’importe quoi. La discussion permet de réfléchir à la question et de trouver comment mieux densifier. Ensemble, nous réalisons de meilleurs projets. » Aussi bien le faire tous main dans la main.