Pour le consommateur, Amazon est le concurrent moderne de Walmart. Qu'on magasine en ligne sur Amazon ou qu'on se présente dans un des magasins Walmart de sa région, les deux nous promettent de trouver à peu près tout ce que l'on cherche à bas prix. Ces géants du commerce ont cependant plus de différences qu'on ne le croit.
C'est connu, Walmart est un détaillant traditionnel. Il achète la marchandise, l'entrepose et la vend dans ses magasins. Ce qui est moins connu, c'est qu'Amazon a plus de similitudes avec le propriétaire d'un centre commercial qu'avec Walmart. Plus de la moitié des produits vendus sur le site d'Amazon n'ont pas été achetés par cette dernière. Les produits sont vendus par des commerçants indépendants qui versent une commission variant entre 8 % et 15 % à Amazon pour toute vente réalisée sur son site. Amazon est donc le propriétaire d'un immense centre commercial virtuel qui facture un «loyer» mensuel aux différentes boutiques qui veulent bien élire domicile sur sa plateforme.
Ce qui porte à confusion, c'est qu'Amazon joue sur plus d'un tableau. Si elle est propriétaire d'un commerce virtuel et reçoit de nombreux locataires sur sa plateforme, elle se réserve également le droit de vendre elle-même les produits qu'elle juge intéressants de tenir en stock. C'est ce qui lui permet d'offrir d'excellents prix. À l'instar d'un détaillant comme Costco, Amazon ne vend elle-même que les articles les plus populaires, et troque ainsi de faibles marges bénéficiaires pour un volume de ventes supérieur. Les articles vendus en moins grande quantité sont laissés aux commerçants indépendants, qui rivalisent pour offrir la meilleure tarification. C'est l'un des aspects qui permet à Amazon de faire tourner ses stocks très rapidement et d'améliorer son rendement sur le capital, une donnée critique quand vient le temps d'estimer la qualité d'une entreprise dans laquelle investir.
Le rendement sur le capital généré par Amazon donne cependant plusieurs maux de tête aux gestionnaires de firmes d'investissement. Dit simplement : il est ardu de se faire une idée de la valeur intrinsèque de la société parce que la rentabilité réelle d'Amazon est indéterminable.
Pour bien comprendre, prenons le cas du détaillant Walmart. Pour croître, le détaillant traditionnel doit construire de nouveaux magasins dans des marchés où il n'est pas déjà présent. Aux états financiers, le coût pour construire un nouveau magasin n'est pas inscrit comme une dépense, mais plutôt comme un investissement qui sera déprécié sur plusieurs années. Le fait de construire un nouveau magasin lors d'une année donnée ne nuit donc pas beaucoup à la rentabilité courante de la société.
La réalité est différente pour Amazon. Un détaillant virtuel n'a pas à construire de magasins. En revanche, il doit constamment engager des frais de programmation informatique. Chaque fois que la société veut intégrer un nouveau module à son site web ou offrir de nouvelles catégories de produits à sa place d'affaires virtuelle, un travail est nécessaire. La plupart du temps, ce travail est considéré comme une dépense à titre de frais de recherche et développement.
La construction de magasins est à Walmart ce que la programmation informatique est à Amazon. La première est considérée comme un investissement alors que l'autre est considérée comme une dépense. L'an dernier, ce fut, selon nos estimations, près de 10 milliards de dollars américains qu'Amazon a engloutis en R et D pour ses activités de ventes au détail. Cela représente environ 3,5 % de ses ventes de système. C'est presque autant que la marge bénéficiaire avant impôts de Walmart. On comprend alors mieux pourquoi, malgré la domination de l'entreprise, Amazon semble assez peu rentable sur papier.
Les nombreuses dépenses en R et D ne sont qu'un exemple parmi tant d'autres qui diminuent artificiellement la rentabilité d'Amazon. Les frais liés aux projets technologiques comme la mise sur pied d'Alexa (le système de commande vocale), la production de contenus médiatiques et l'expansion déficitaire à l'international rendent les comparaisons encore plus difficiles.
D'autres éléments laissent cependant croire que certaines dépenses gonflées ne peuvent pas être traitées comme des investissements. Par exemple, en proportion de ses revenus, Amazon dépense plus de trois fois ce que débourse Walmart en marketing. Ces dépenses visent-elles à croître plus rapidement, ou sont-elles plutôt nécessaires à acheter de la publicité en ligne pour générer du trafic sur son site web ? Contrairement à Walmart, Amazon ne jouit pas d'un vaste réseau de magasins physiques ayant l'effet d'attirer naturellement la clientèle passante. Son coût d'acquisition des clients pourrait être structurellement plus élevé.
Devant ces nombreux facteurs d'incertitude, la prudence ne peut être que de mise en ce qui concerne un investissement dans Amazon. Lorsque de nombreux paramètres doivent être estimés pour juger de la valeur intrinsèque d'une société, un investisseur doit exiger une grande marge de sécurité avant de considérer y investir.
EXPERTS INVITÉS
Aaron Lanni, analyste en investissements chez Gestion de portefeuille stratégique MEDICI
Pierre-Olivier Langevin est gestionnaire de portefeuille chez MEDICI