«Les actions sont chères, une correction majeure va se produire», «les investisseurs ont un comportement irresponsable face à Trump», «la hausse des taux va faire tomber la Bourse»...
À voir les avertissements qui fusent de partout, la tentation peut être forte de tout vendre et de placer ses liquidités dans un coffre-fort dans l'espoir d'acheter au rabais lorsque la correction redoutée surviendra enfin. Dans un monde idéal, vous seriez doté de l'instinct qui vous permettrait de liquider vos placements la veille d'une chute majeure. Désolé, la vie n'est pas ainsi faite. La façon la plus rationnelle d'encaisser un coup éventuel? Revoir votre portefeuille et vos impératifs financiers en profondeur.
Le 9 octobre marquait le 10e anniversaire du précédent sommet historique des Bourses américaines, avant que celles-ci ne subissent leur pire dégringolade depuis le krach de 1929. Journalistes et observateurs n'ont pas manqué d'établir des parallèles entre les conditions qui prévalaient sur les marchés en 2007 et les conditions actuelles. Prix élevés des actions, volatilité au plancher, complaisance des investisseurs... Même si le contexte actuel n'est pas comparable à celui où la crise de 2008-2009 a germé, les experts sont nombreux à soulever les innombrables risques qui pendent au bout du nez des investisseurs
« Il serait irresponsable d'affirmer qu'il y a une grande quantité d'aubaines après l'ascension des dernières années. Il serait tout aussi simpliste de dire que les actions vont subitement interrompre leur course haussière parce que des experts soutiennent que tout est cher. » Tenter d'anticiper les marchés est un exercice futile et risqué. Même si certains se targuent d'avoir vu apparaître les signes d'une crise à venir il y a 11 ou 12 ans, l'indice S&P 500 s'est apprécié de 80% entre le début de janvier 2006 et le sommet du 9 octobre 2007. L'investisseur qui aurait tout liquidé en cours de route aurait échappé des gains importants.
Derek Foster, qui s'est autoproclamé le plus jeune retraité du Canada, nous a montré avec éloquence à quel point il est idiot d'essayer de prévoir l'évolution de la Bourse. Celui qui a publié en 2005 un livre sur le placement prêchant les vertus d'acheter et de conserver ses actions à long terme a tout vendu en février 2009, quelques semaines avant le début du plus long marché haussier de l'histoire, comme le raconte John Heinzl dans une récente chronique du Globe and Mail. M. Foster a ensuite écrit un autre livre, Le millionnaire idiot. On devine pourquoi.
Pas de rivales sérieuses pour les actions
Les indices repères de la Bourse américaine se négocient à un seuil supérieur à leur moyenne historique, c'est vrai, mais il ne faut pas prendre la décision de tout vendre uniquement pour cette raison. Nuance capitale, le ratio cours-bénéfice moyen des indices reflète les très faibles multiples d'évaluation auxquels ils se négociaient dans les années 1970, une période marquée par une inflation galopante, comme l'explique le gestionnaire de portefeuille vedette Bill Miller dans une récente lettre à ses clients.
Il faut garder en tête que toutes les catégories d'actifs se font concurrence pour obtenir l'argent des investisseurs. Le portrait est incomplet si on isole le ratio cours-bénéfice des actions sans comparer leur rendement potentiel relativement aux obligations et aux certificats de dépôt. À ce sujet, M. Miller est catégorique: ni l'encaisse ni les obligations ne représentent une concurrence sérieuse aux actions aux niveaux actuels. À son avis, l'obligation américaine de 10 ans doit offrir un rendement dépassant 4% avant de devenir une menace sérieuse pour les actions, ce qui est nettement plus que celui de 2,27% qu'elle procure en ce moment.
L'heure d'un bilan solide
Si tout vendre n'est pas LA solution, il est avisé de vous préparer pour une période moins faste en Bourse. Voici quelques pistes.
> Faites une révision en profondeur de vos titres et concentrez-vous sur les bilans. Les entreprises trop endettées seront les premières victimes lorsque des investisseurs seront devenus plus nerveux. Privilégiez les entreprises qui possèdent d'abondantes liquidités et qui pourront profiter d'un contexte défavorable pour acheter à bas prix. Avec plus de 100 milliards de dollars américains d'encaisse, le conglomérat de Warren Buffett, Berkshire Hathaway(BRK.B, 189,67$US), est le genre d'entreprise bien armée pour saisir les occasions à la prochaine période trouble.
> Vendez les titres dont les multiples sont très élevés. Shopify(SHOP, 129,22$), la coqueluche canadienne du secteur de la technologie, nous l'a montré récemment : les titres dont le ratio cours-bénéfice est extrême sont vulnérables. La société d'Ottawa a plongé de 20 % après avoir été la cible du vendeur à découvert Andrew Left, de Citron Research. Netflix(NFLX, 198,85 $US) a une fois de plus été une locomotive au cours de la dernière année après avoir pratiquement doublé. Le chef de file de la vidéo en ligne présente encore un grand potentiel de croissance, mais la cherté de son titre le rend fort risqué en cas de correction des marchés.
>Retranchez-vous vers les entreprises aux avantages concurrentiels durables. Les bouleversements technologiques brouillent en partie ce conseil, dois-je admettre. Même si cela est moins évident qu'avant, il reste possible de repérer les entreprises qui ont bâti un château fort procurant une certaine protection de leur rentabilité au cours d'une récession. Les transporteurs ferroviaires Canadien Pacifique(CP, 224,17$) et Canadien National(CNR, 103,63$) vont certainement souffrir en cas de ralentissement économique, mais leur duopole ne s'en trouvera pas menacé.
> Faites le point sur vos besoins financiers. Un retraité n'a pas les mêmes impératifs qu'une personne qui commence à investir. La protection du capital est un élément clé à considérer si vous êtes en mode décaissement. Après la hausse marquée des actions des dernières années, la répartition de vos actifs est-elle encore optimale pour votre situation? Par ailleurs, il peut être avisé de simuler un scénario où la Bourse connaîtrait une correction de 20% ou plus d'ici deux ans. Un tel dénouement bouleverserait-il votre plan financier ? Voilà un exercice qui pourrait vous inciter à revoir l'ensemble de vos placements.
Soyons lucides, il n'y a pas de refuge miracle. Si vous jugez les actions surévaluées, les obligations et l'immobilier le sont davantage. Personnellement, je ne déplacerais aucunement mon argent de la Bourse vers les marchés obligataire ou immobilier. Une entreprise au bilan solide qui verse un bon dividende à chaque trimestre constitue un pilier solide de votre portefeuille, peu importe les conditions des marchés.