Quelques jours avant l'annonce de l'acquisition de Rona (Tor., RON) par sa rivale américaine Lowe's (NY, LOW), un lecteur m'a suggéré de cibler «des titres canadiens de bonne qualité, mais qui ont subi une perte de valeur non justifiée en Bourse, susceptibles de faire l'objet d'une prise de contrôle par des entreprises étrangères». La mission de mon lecteur, si je l'acceptais, était de «permettre de bons gains en capital pour tout investisseur».
Le vendredi qui a précédé l'achat du quincaillier québécois, j'ai fait suivre à ce lecteur le texte que ma collègue Dominique Beauchamp venait de publier sur lesaffaires.com: «Rona bondit de 5%: et si Lowe's revenait à la charge?».
Dans ce texte, ma collègue exposait la thèse de deux analystes selon laquelle le détaillant américain pourrait lancer une nouvelle offre d'achat pour la seule chaîne canadienne de rénovation inscrite en Bourse.
Je ne sais pas si ce lecteur a fait le plein d'actions de Rona, mais si c'est le cas, il a frappé un coup de circuit grâce à un gain en capital avoisinant les 100%, en trois séances.
De la chance plutôt que de la science
Quel timing, s'est peut-être dit le lecteur. Il est tout à l'honneur de ma collègue Dominique d'avoir flairé la possibilité que Lowe's fasse une nouvelle tentative auprès de Rona, d'autant qu'elle est une des seules journalistes du pays à avoir mis de l'avant ce scénario.
Cette histoire nous fait paraître brillants, mais il faut humblement admettre que la chance y joue un grand rôle. Même si l'équipe du cahier Investir suit avec minutie les entreprises et les commentaires d'analystes, notre faculté de cibler le prochain Rona reste plutôt limitée.
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Dans les heures qui ont suivi l'annonce de l'acquisition, les médias et les investisseurs ont commencé à se demander qui sera la prochaine proie. Un réflexe qu'on observe chaque fois qu'une transaction d'envergure survient au Québec.
Compte tenu de la dépréciation du huard, la vague d'acquisitions d'entreprises canadiennes par des sociétés américaines ou européennes ne fait que commencer, ont dit des observateurs.
On peut s'attendre à d'autres acquisitions du genre au cours de l'année. Y aura-t-il une offre non sollicitée sur SNC-Lavalin (Tor., SNC), sur BRP (Tor., DOO) ou sur Uni-Sélect (Tor., UNS)?
Cela relève de la spéculation. Acheter un titre en se fondant principalement sur le critère qu'il susciterait une offre d'achat se révèle un jeu dangereux.
Ce sont surtout les entreprises qui en arrachent ou qui évoluent dans un secteur déprimé, comme celui du pétrole en ce moment, qui risquent d'être les premières à tomber entre les mains d'acheteurs opportunistes.
Doug Terreson, analyste pour Evercore ISI, a dit au début de février s'attendre à ce que les géants pétroliers ExxonMobil (NY, XOM), Chevron (NY, CVX) et Royal Dutch Shell (NY, RDS.A) commencent à acheter de petites sociétés concurrentes qui ont souffert de la dégringolade des prix de l'énergie.
Même si le contexte est propice aux fusions et acquisitions dans le secteur de l'énergie, vous pourriez vous brûler en investissant dans le titre d'une entreprise dans l'espoir que celle-ci soit acquise. Dans le pire scénario, votre société ne se fera pas acheter et, compte tenu du contexte défavorable, son titre continuera de baisser. Dans le meilleur scénario, votre entreprise fera l'objet d'une offre d'achat, mais à un prix plus bas que vous ne l'auriez espéré. Entre ces deux scénarios, il se peut aussi que votre entreprise suscite une offre d'achat et que l'acheteur propose un échange d'actions, auquel cas est associé un risque de marché (le titre de l'acquéreur pourrait reculer si les investisseurs réagissaient mal à la transaction).
L'exemple de Sears
Prenons un cas fictif pour illustrer le risque de miser sur une acquisition. Un investisseur tenté par le démon de la spéculation pourrait se dire que, compte tenu de la chute de 50% de la valeur du titre de Sears Canada (Tor., SCC) au cours de la dernière année et de la vigueur du dollar américain, le détaillant pourrait intéresser un fonds d'investissement privé américain ou un détaillant étranger désireux de s'attaquer au marché canadien.
Possible, mais l'investisseur prendrait un risque notable en pariant sur une telle possibilité. Si l'hypothèse d'une transaction ne se concrétise pas, il sera pris avec un titre dont le potentiel d'appréciation semble faible.
Le détaillant perd de l'argent depuis plusieurs années, et rien n'indique qu'il réussira à renverser la vapeur de façon durable.
Repérez plutôt d'autres Robert Chevrier
Plutôt que de chercher la prochaine candidate à une acquisition, investissez du temps à repérer des créateurs de richesse comme Robert Chevrier, président du conseil d'administration de Rona et d'Uni-Sélect.
Sous sa gouverne (il a pris la tête du conseil d'Uni-Sélect en 2012 et de Rona en 2013), ces deux titres ont considérablement enrichi leurs actionnaires.
J'entends déjà les critiques me blâmer, parce que M. Chevrier a accepté de vendre un «fleuron québécois».
On pourrait débattre longtemps sur la définition d'un fleuron, mais j'insiste sur un aspect: si vous aviez acheté des actions de Rona il y a 10 ans, votre rendement aurait à peu près été nul. Un coup de barre était nécessaire.
Suivez Yannick Clérouin sur Twitter @Clerouin_Inc