Si vous cherchiez une raison de continuer d'investir autant de temps et d'énergie pour obtenir des rendements supérieurs aux indices, je vous en ai trouvé une puissante: le plus important gestionnaire d'actifs du monde, BlackRock, jette l'éponge à l'égard du «stock picking» et remplace une douzaine d'as de la sélection de titres par des robots.
Plus grand monde ne semble vouloir se battre contre le marché. Après huit années de rendements supérieurs à la moyenne historique, bien des investisseurs institutionnels anticipent une période où les gains seront faibles.
Comme ils s'attendent à des années de vaches maigres, pourquoi les fonds de pension, assureurs et autres gros investisseurs dépenseraient-ils une fortune dans la recherche qui leur permettrait d'avoir de meilleurs rendements que le marché? Surtout, pourquoi prendraient-ils le risque d'en avoir de moins bons que le voisin?
Dans ce contexte, de nombreux grands investisseurs succombent à la mode des fonds indiciels. Au cours des 12 derniers mois, près d'un trillion de dollars américains sont passés des mains de gestionnaires de portefeuilles actifs–ceux qui sélectionnent les titres eux-mêmes–à des fonds indiciels ou négociés en Bourse(FNB), selon les stratèges de Citi.
On automatise la sélection de titres parce que c'est simple, rapide et bon marché. La caisse de retraite des policiers de telle municipalité veut mettre 30% de ses actifs dans les actions canadiennes? Nul besoin d'embaucher un consultant bien rémunéré, il suffit d'acheter le fonds iShares qui reproduit la performance de l'indice S&P/TSX de la Bourse de Toronto, le XIC. Avec des frais de gestion annuels dérisoires de 0,06%, difficile de trouver meilleur rapport qualité/prix n'est-ce pas?
Les fonds indiciels comportent d'énormes avantages pour bien des investisseurs, notamment les particuliers. Ils sont accessibles, et leurs frais de gestion, minimes.
Leur immense popularité crée toutefois toutes sortes de déséquilibres.
Un des effets pervers de leur succès est lié à leur nature même: avec les montagnes de liquidités qu'ils reçoivent, ils achètent les titres les plus populaires. Ce qui a pour effet de gonfler artificiellement la valeur accordée à certaines entreprises qui se retrouvent par défaut dans les fonds des indices de base tels le S&P/TSX ou le S&P 500.
Comme l'explique l'influent investisseur Seth Klarman dans sa récente lettre annuelle, lorsque l'argent afflue dans un fonds indiciel, le gestionnaire achète généralement les titres de l'indice en proportion de leur capitalisation boursière accessible au public (flottant). Ce qui accroît les distorsions, puisque cette sélection se fait au détriment d'entreprises dont les initiés possèdent d'importantes participations, tel le Groupe MTY(MTY, 50,03 $). Le fondateur Stanley Ma et la chef de l'exploitation Claude St-Pierre détiennent ensemble une participation de 25% dans le franchiseur de restaurants.
Un simple coup d'oeil à la première capitalisation du monde, Apple(AAPL, 143,25 $), illustre la portée des fonds indiciels. Qui sont les principaux actionnaires du fabricant du iPhone? Vanguard Group, BlackRock et State Street Global Advisors. À eux seuls, ces trois géants des fonds indiciels possèdent 15% d'Apple. Peu importe si ce titre est cher ou non, il est le principal placement des fonds qui reproduisent le S&P 500.
À un moment où le marché est jugé cher par de nombreux observateurs, la mode de la gestion passive contribue à alimenter la surévaluation accordée aux titres en demande. Ce phénomène peut durer longtemps si l'argent continue de se déplacer des gestionnaires actifs vers les fonds passifs.
Un boulevard d'occasions pour les investisseurs à long terme
La bonne nouvelle, c'est que plus il y a de gens qui croient à l'efficacité du marché (donc à l'impossibilité de le battre) et qui se dirigent vers les fonds indiciels, plus le marché risque de devenir inefficient. Cela ouvre un boulevard d'occasions aux investisseurs à long terme qui se donnent pour mission de dénicher des titres sous le radar des gros fonds indiciels et susceptibles d'être sous-évalués.
Ce n'est pas la première fois que les fonds indiciels sont à la mode. François Rochon, président de Giverny Capital, avait qualifié les produits indiciels de «saveur du jour» dans sa lettre annuelle de 1998. À l'époque, le S&P 500 était considéré comme imbattable par bien des investisseurs.
Dans une entrevue à Les Affaires, Jean-Guy Desjardins, de Fiera Capital, mentionne que c'est la troisième vague indicielle qu'il voit depuis le début de sa carrière. La mode «va et vient» fait voir le financier expérimenté. Lisez notre entrevue Comment le phénix Jean-Guy Desjardins a bâti Fiera
Certes, la donne change avec l'analyse ultra rapide de données et de la plus récente information disponible, comme la publication de résultats financiers, que les logiciels peuvent effectuer en un temps record.
Cependant, les joyaux ne se trouvent pas à l'aide d'algorithmes.
Un des ingrédients essentiels pour battre le marché reste de bien connaître la direction des entreprises dans lesquelles on investit. Il n'y a pas une machine qui vous avertira deux mois d'avance que la direction de Dollarama (DOL, 114,64$) va accepter les cartes de crédit dans ses succursales et qu'elle va revoir à la hausse le nombre cible de magasins qu'elle vise exploiter au pays dans la prochaine décennie. L'investisseur qui accumule de l'information sur l'entreprise depuis des années sait en revanche que la direction du détaillant est obsédée par le rendement de ses actionnaires. Dans la même veine, une machine ne permet pas de découvrir le nouvel avantage concurrentiel d'une entreprise.
C'est un objectif ambitieux, mais oui, il est encore possible de battre le marché. Ceux qui vont à contre-courant de la mode actuelle pourraient être grandement récompensés dans les prochaines années. Soyez prêt à y investir les efforts nécessaires et à sauter sur les occasions qui naîtront de la prochaine correction, moment où les acheteurs de fonds indiciels, eux, vendront de façon irrationnelle.