Deux bombes larguées sur Wall Street ces derniers jours ont probablement amené des investisseurs individuels à entrer dans le jeu des vendeurs à découvert et à prendre des décisions de placement qu'ils pourraient regretter.
Dans une vidéo qu'il a lui-même produite, l'investisseur activiste Carl Icahn a prédit une catastrophe imminente pour les marchés, accusant les responsables de la politique monétaire américaine d'avoir maintenu les taux d'intérêt près de zéro trop longtemps. Une erreur qui, selon le milliardaire, a entraîné des bulles spéculatives dans plusieurs catégories d'actifs, dont l'immobilier, les arts et les obligations à haut rendement.
Cet avertissement a fait la manchette dans bien des médias financiers de la planète. Il y a fort à parier qu'il a incité des investisseurs déjà angoissés par le repli marqué des marchés au cours des deux derniers mois à réduire leurs investissements boursiers.
Au même moment, Citron Research, firme spécialisée dans la vente à découvert, a publié un rapport incisif sur Valeant (Tor., VRX), un jour avant que 18 membres du Congrès américain n'exigent que la société lavalloise et son président, Michael Pearson, comparaissent pour expliquer le bond du prix de deux de ses médicaments. Ces événements ont fait tomber le titre de la pharmaceutique de 20 % en deux séances.
Citron, dirigée par Andrew Left, n'a pas fait dans la dentelle pour dénoncer les pratiques de la pharma. «Valeant est une tumeur maligne pour le système de santé américain qui doit être retirée avant qu'elle n'infecte les sociétés saines....» À l'instar de Carl Icahn, elle a utilisé les médias pour que son rapport fasse grand bruit.
Leur intérêt avant le vôtre
Comme investisseur, il est essentiel de se demander dans quel intérêt agissent des financiers aussi puissants que Carl Icahn ou Andrew Left. Veulent-ils vraiment aider l'épargnant moyen à prendre conscience des dangers ou servir leur propre cause ?
Un fin renard comme M. Icahn sait à quel point il peut influencer les investisseurs grâce à des déclarations-chocs. En même temps qu'il a sonné l'alarme, il a admis avoir pris d'importantes protections contre une déroute des marchés. Cela fait un bon moment que M. Icahn mise sur une baisse des Bourses, un pari qui n'a pas été payant jusqu'à présent.
Dans le cas de M. Left, sa firme cible des entreprises qui agissent de façon frauduleuse ou dont le titre est jugé surévalué, puis elle les vend à découvert. Les vendeurs à découvert, short sellers dans le jargon boursier, cherchent à profiter de la baisse d'un titre pour empocher des gains. Ils mandatent des courtiers qui trouvent des investisseurs désireux de prêter leurs actions de l'entreprise visée. Ces titres sont ensuite écoulés sur le marché, et la somme obtenue, remise au vendeur à découvert. Ce dernier doit éventuellement fermer sa position et racheter le même nombre d'actions. Celles-ci sont ensuite remises au courtier. Plus le titre baisse, plus le vendeur à découvert s'enrichit. À l'inverse, plus le titre monte, plus le vendeur à découvert s'appauvrit.
Des moments difficiles
Valeant était devenue une cible de choix pour les spéculateurs. Elle était lourdement endettée, et sa valeur en Bourse avait été multipliée par plus de dix en cinq ans à la fin de juillet. Le quart des actions de Valeant se trouve dans les mains de gestionnaires de fonds de couverture (hedge funds), selon Bloomberg.
Les conclusions de Citron à l'égard des pratiques de Valeant sont-elles fiables ? Impossible à dire avec certitude. Il est bon de savoir que cette firme a été poursuivie pour diffamation à de multiples reprises par des entreprises chinoises qu'elle a ciblées, dont par le fondateur de Google China, Kai-Fu Lee, peut-on lire dans The most dangerous trade : how short sellers uncover fraud, keep markets honest and make and lose billions.
Cet excellent ouvrage publié à la fin d'août dresse le portrait des principaux acteurs de la vente à découvert. De plus, il nous montre que certains d'entre eux sont prêts à tout pour avoir gain de cause, comme Bill Ackman dans son combat contre Herbalife (NY, HLF).
Les hedge funds qui font appel à la vente à découvert vivent des moments difficiles depuis le début du marché haussier, en 2009. Ils ont en moyenne perdu 12 %, pendant que l'indice S&P 500 s'est apprécié de 200 %. Pas étonnant qu'ils aient recours à des offensives bien médiatisées afin que leurs paris baissiers rapportent.
Le rôle clé des vendeurs à découvert
Même s'ils peuvent être nuisibles, les vendeurs à découvert jouent un rôle clé sur les marchés. Comme le souligne le réputé gestionnaire Leon Cooperman dans le livre cité plus haut, «quand Manuel Asensio [star de la vente à découvert] vend à découvert un titre que je possède, je cuisine mon analyste afin de m'assurer qu'il est au courant de ce dont il parle».
Il devrait en être de même pour l'investisseur individuel. Vous détenez des actions de Valeant ? Réalisez vos propres recherches pour contrevérifier les affirmations de Citron.
Les short sellers ont attiré l'attention sur d'importants cas de fraude, comme celui de la société torontoise Sino-Forest. Ils peuvent aussi aider à mieux nous faire voir les risques associés à un titre. L'ex-coqueluche de croissance Home Capital Group (Tor., HCG) en est un bon exemple. Des vendeurs à découvert l'avaient ciblée ces dernières années, craignant l'éclatement d'une bulle immobilière dans ses principaux marchés. La récente décision de la société de rompre ses liens avec des courtiers dont la documentation sur les emprunteurs laissait à désirer a fait plonger le titre.
Oui, les vendeurs à découvert peuvent vous être utiles. Mais pour éviter de vous faire déculotter par les short, ne prenez pas toutes leurs déclarations pour du cash !
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