Quelle déception! Voilà la réaction initiale qu'ont dû avoir de nombreux actionnaires de Metro (Tor., MRU, 46,38 $) lorsqu'ils ont appris que la chaîne d'épiceries Canada Safeway, établie dans l'Ouest canadien, avait échappé à l'entreprise montréalaise à la faveur d'Empire (Tor., EMP.A, 20,08 $).
Trois ans et une douloureuse dégringolade des prix pétroliers plus tard, ils peuvent remercier le ciel que la direction de Metro ait concédé cette «occasion historique» à sa rivale de l'Atlantique.
Les investisseurs donnent la plupart du temps le bon Dieu sans confession à une entreprise qui réalise une acquisition de l'envergure de celle annoncée par Empire, en juin 2013. Il faut dire que la direction du conglomérat, qui exploite les enseignes IGA et Sobeys, avait à l'époque débité un long chapelet d'avantages qui émaneraient de l'union.
Une bouchée difficile à digérer
Cette bouchée de 5,8 milliards de dollars était considérée comme un grand coup pour le pdg d'origine québécoise de Sobeys, Marc Poulin.
En plus d'offrir une nouvelle plateforme de croissance au deuxième détaillant alimentaire du pays, elle lui permettait de devenir le principal épicier d'un marché en plein essor : l'Alberta. On avait en outre fait miroiter la grande complémentarité des deux chaînes, un atout qui devait procurer des économies de coûts de 200 millions de dollars annuellement sur trois ans. Sans oublier que cette transaction devait générer de juteuses liquidités excédentaires qui serviraient à rembourser rapidement la dette contractée pour financer l'achat.
La rivale de Metro et de Loblaw (Tor., L, 69,40 $) est toutefois passée au confessionnal à la fin de juin. Elle a dévoilé des résultats décevants pour un troisième trimestre consécutif et une deuxième lourde radiation de la valeur des éléments d'actif achetés de Safeway. Au total, des charges de 3 G$ ont été inscrites afin d'ajuster le prix d'achat en fonction de la performance actuelle de la division de l'Ouest canadien. C'est plus de la moitié des 5,8 G$ allongés par Empire pour Safeway !
En plus des embûches liées à l'intégration de cette chaîne, Empire a continué de souffrir au quatrième trimestre en raison des conditions économiques défavorables en Alberta et en Saskatchewan, ainsi que du changement de comportement des consommateurs - ils sont plus que jamais en quête de bas prix -, souligne Vishal Shreedhar, analyste de la Financière Banque Nationale.
Les mesures prises pour relancer la croissance des ventes et régler les problèmes d'intégration n'ont pas porté leurs fruits.
Le rendement du capital investi par Empire n'a cessé de se détériorer au cours des trois dernières années. De 9,5 % qu'il était pour la période de 12 mois terminée en avril 2013, il est passé à - 0,2 % pour la période de 12 mois close à la fin d'avril 2016, selon les données de StockPointer.
L'Ouest, pas le seul problème d'Empire
Les investisseurs ont été sans pitié face à une telle performance. Le titre d'Empire a chuté après la publication des derniers résultats pour toucher un creux en trois ans et demi. Depuis l'annonce de l'acquisition de Canada Safeway, il a perdu plus de 16 % de sa valeur. Celui de Metro a plus que doublé au cours de la même période.
Le pdg d'Empire vient d'être sacrifié sur l'autel du rendement. L'entreprise a annoncé le 8 juillet que Marc Poulin quittait son poste immédiatement. François Vimard, dirigeant principal des services financiers et administratifs, assurera l'intérim jusqu'à ce qu'un remplaçant à M. Poulin soit trouvé.
Patricia A. Baker, analyste de Banque Scotia, souligne qu'il reste beaucoup de travail à faire pour relancer la division de l'Ouest. Elle reste convaincue qu'Empire y parviendra, avec du temps.
Sûrement. Mais pendant qu'elle mettra les bouchées doubles pour stabiliser la performance de ses activités, ses rivales continueront de mettre l'accent sur les marchés porteurs. De plus, celles-ci jouissent d'une plus grande latitude financière pour mener des offensives promotionnelles.
Sobeys est nettement sous-représentée dans les catégories des bas prix et des supermarchés à vocation ethnique. Metro poursuit de son côté son offensive dans le segment bon marché en ouvrant et rénovant des établissements Super C et Food Basics. Elle vient aussi d'inaugurer la 11e succursale de la chaîne Adonis, une belle locomotive du créneau ethnique, marché duquel Empire est pratiquement absente.
De grandes leçons pour l'investisseur
Metro n'a pas fait de coup d'éclat en achetant une des dernières chaînes d'épiceries indépendantes du pays, et c'est peut-être par chance - elle avait approché Safeway, sans succès. Digérer une grosse bouchée peut être l'enfer et est loin d'être toujours positif pour les actionnaires.
Depuis la mi-2013, l'évaluation accordée au titre de Metro a augmenté de façon notable, et l'écart par rapport à celle d'Empire est aujourd'hui plus grand que jamais, dit Irene Nattel, analyste de RBC Marchés des Capitaux. L'action d'Empire se négocie en effet à 6,8 fois la valeur de l'entreprise par rapport à son bénéfice avant intérêts, impôts et amortissement (BAIIA) anticipé pour l'exercice 2016, comparativement à 11,6 fois pour Metro.
Metro est aussi en bien meilleure position qu'Empire pour accroître le rendement des actionnaires. Tandis qu'Empire doit redresser sa performance pour éviter une décote de crédit par les agences de notation, sa rivale québécoise peut profiter de son solide bilan pour bonifier son dividende et racheter ses actions.
La croissance de Metro est toutefois appelée à ralentir dans les prochaines années. Il y a des limites à la croissance interne, ce qui force la chaîne montréalaise à magasiner. D'autant que Wal-Mart(NY, WMT, 73,57 $ US) et Costco(Nasdaq, COST, 165,06 $ US) continuent de gruger des parts de marché dans l'alimentation. Groupe Jean Coutu (Tor., PJC.A 19,21 $) et la chaîne d'épiceries Overwaitea Foods, de la Colombie-Britannique, sont ses deux principales cibles potentielles.
La direction de Metro a toujours été une championne de l'allocation du capital, et je suis convaincu qu'elle maintiendra son avantage sur ses rivales à ce chapitre. Actionnaires de Metro, priez tout de même pour que les dirigeants ne cherchent pas de la croissance à tout prix et qu'ils gardent en tête qu'une acquisition manquée peut être une grande bénédiction.