Si je me rangeais du côté de la majorité des stratèges boursiers, je vous énumérerais toutes les bonnes raisons qui laissent entrevoir une nouvelle hausse des indices supérieure à la moyenne historique –entre 8% et 12%– en 2018. Il y a cependant en moi un petit démon qui m'incite à rejeter l'avis majoritaire et à anticiper plutôt une progression modeste qui se situe entre 3% et 5% des deux côtés de la frontière.
Étant de nature optimiste, je me retiens de ne pas évoquer une possible correction l'an prochain. Pas parce que je crains que les économies américaine et mondiale dévient de leur trajectoire de croissance synchronisée, bien au contraire, mais parce qu'un événement inattendu risque de faire dérailler le doyen de tous les marchés haussiers.
L'indice S&P 500 amorcera sa dixième année haussière en mars. Au-delà de cette longévité record, il faut garder en tête qu'une correction de 10% ou plus se produit tous les deux ou trois ans. La dernière en lice, de 15 %, est survenue en février 2016, mais elle a vite été oubliée. Après une année où la volatilité est restée au plancher en dépit de la multitude d'épées de Damoclès suspendues au-dessus des marchés, les probabilités qu'une secousse vienne perturber cette étonnante quiétude semblent plus élevées. Les excès apparaissent souvent après une longue période haussière, comme ce fut le cas en 2 000 avec la bulle des technos.
Du resserrement marqué des taux d'intérêt en passant par les valorisations élevées accordées aux actions à une flambée de l'inflation attisée par le plein emploi, les risques évoqués par les experts abondent. Il y a cependant un danger qui reste sous-estimé et qui, pourtant, m'apparaît de plus en plus troublant: l'effondrement des cryptomonnaies avec effet domino sur les autres actifs.
Selon ce scénario, les investisseurs qui ont spéculé sur le bitcoin réagissent à une dégringolade des cryptomonnaies en vendant les placements qui ont été payants, dans l'espoir de protéger leurs gains. Nous en avons eu récemment un aperçu lorsque les vedettes de la techno –Amazon, Facebook, Google et compagnie - ont reculé de pair avec les devises virtuelles.
L'appréciation phénoménale des titres technologiques depuis 2009, particulièrement au cours de la dernière année, accroît leur vulnérabilité. Les Amazon, Facebook, Netflix, Nvidia, Shopify, Paypal, Electronic Arts et compagnie ont beau enregistrer une forte croissance de leurs revenus et de leurs bénéfices, elles ne sont pas pour autant à l'abri d'un changement abrupt de l'humeur des investisseurs qui les valorisent très généreusement.
D'autant qu'une rotation des portefeuilles vers les entreprises plus susceptibles de profiter de la baisse du taux d'imposition promise par l'administration Trump s'est amorcée récemment. Les titres financiers américains restent des coups de coeur des experts pour 2018. En plus d'être parmi les entreprises les plus imposées, les banques se négocient moins cher que le marché dans son ensemble. Enfin, Amazon, Google et Facebook pourraient être attaquées par les gouvernements européens et américain, en raison de leur position trop dominante.
Bourse canadienne: peu de bougies d'allumage
J'ai beau chercher, je trouve encore moins de bougies d'allumage pour la Bourse canadienne. Ses poids lourds, les titres des secteurs de la finance (35 % de l'indice S&P/TSX) et de l'énergie (19 % de l'indice), présentent un potentiel d'appréciation limité.
Étant donné la production américaine qui s'ajuste rapidement à la hausse des prix, il est difficile de voir les cours du brut grimper. De plus, les banques, qui ont encore confondu les sceptiques en 2017 (lire encadré), ont moins de chances d'être soulevées par une évaluation plus généreuse comme ce fut le cas cette année. C'est sans parler des risques élevés d'un recul majeur du marché immobilier. Et des conséquences d'un échec des négociations portant sur le libre-échange avec les États-Unis.
Je suis moins optimiste que Brian G. Belski, de BMO Marchés des capitaux, qui voit le principal indice canadien à 17 600 à la fin de 2018, ce qui laisse entrevoir un rendement de 9 %. L'accélération de la croissance de l'économie américaine alimentée par la réforme fiscale devrait selon lui soulever l'indice S&P/TSX. Une croissance vigoureuse de l'économie mondiale, notamment en Chine, pourrait aussi nourrir la demande pour les matières premières, souligne-t-il.
Les titres des épiciers ont peut-être perdu de leurs atouts défensifs avec la menace d'Amazon, mais ils pourraient regagner la faveur des investisseurs en 2018. Metro (MRU, 40,83 $) et Loblaw (L, 68,19 $) doivent certes composer avec une concurrence intense et avec la hausse du salaire minimum en Ontario, mais elles apparaissent relativement peu chères par rapport au marché dans son ensemble. L'intégration du Groupe Jean Coutu devrait par ailleurs donner un élan de croissance à l'épicier québécois.
Le retour du «stockpicker»
Même si j'évoque les nuages qui planent sur les marchés en cette fin de cycle d'expansion économique, 2018 pourrait de nouveau surprendre les observateurs prudents, dont je fais partie. Après tout, la croissance des bénéfices devrait demeurer robuste. Les analystes sondés par Barron's anticipent un bénéfice moyen de 145 $ US par action pour le S&P 500 en 2018 (141,46 $ US chez Reuters, 147 $ chez Bloomberg), ce qui représenterait une croissance de près de 10 % par rapport à cette année. Ce chiffre pourrait être dopé par l'adoption de la réforme de l'impôt des sociétés. Celle-ci ajouterait entre 7 $ US et 15 $ US au bénéfice par action, selon RBC.
La Bourse pourrait aussi gravir de nouveaux sommets pour la simple raison qu'elle n'a pas de concurrent sérieux. Si les actions sont jugées onéreuses, les obligations sont en zone encore plus dangereuse. Selon J.P. Morgan, plus de 10 trillions de dollars américains seraient investis dans des obligations gouvernementales, ce qui procurerait un rendement inférieur à... 0 %. Totalement irrationnel !
Voilà pourquoi les optimistes comme le gestionnaire de portefeuille Bill Miller affirment que les actions vont demeurer le choix relatif par défaut pour encore un bon moment.
Cela dit, après plusieurs années où la simple détention d'un fonds ou FNB qui reproduit les indices a été rentable, 2018 pourrait être celle du grand retour des «stock pickers». La sélection d'entreprises de qualité, raisonnablement évaluées et peu endettées reviendra, selon moi, à l'avant-scène. C'est de toute façon la meilleure démarche à suivre dans une année qui s'annonce plus orageuse qu'en 2017. Santé et prospérité à tous mes lecteurs !
Pile pour la Bourse canadienne, à côté de la plaque pour l'américaine
Qui aurait pu prédire que la Bourse américaine enregistrerait un gain de plus de 18%, surtout après l'élection de Donald Trump ? Pas moi. À la même période l'an dernier, j'avais anticipé un rendement modeste des deux côtés de la frontière, soit de 5 %. C'est pile la progression de l'indice S&P/TSX depuis le début de 2017. Ma prévision pour la Bourse américaine me rappelle toutefois la nécessité de rester humble - et la futilité d'essayer de prévoir les marchés -, puisque le S&P 500 a monté nettement plus que la plupart des experts s'attendaient. Comme je l'avais souligné l'an dernier, le retour de la croissance des bénéfices a été un facteur essentiel à cette nouvelle poussée des indices. Les stratèges avaient vu juste en prévoyant une hausse de 11 % des profits pour l'année. Ce qui a brouillé les prévisions, c'est que le ratio cours/bénéfice de l'indice a continué de grimper. En ce qui a trait à la Bourse canadienne, j'avais mentionné que les locomotives qui ont tiré le S&P/TSX en 2016, les banques et les ressources - notamment les producteurs d'énergie -, seraient moins puissantes en 2017. Les producteurs de pétrole et de gaz ont en effet reculé de 11 % et les producteurs de matériaux ont à peine monté (+1,4%). Les banques ont moins brillé qu'en 2016, mais elles ont tout de même enregistré une performance trois fois supérieure à celle du S&P/TSX en moyenne. J'avais par ailleurs mentionné qu'Apple (Nasdaq, 169,95$ US) pouvait grimper grâce à la sortie du iPhone 8. La première capitalisation boursière mondiale a, comme la majorité des technos, connu une année exceptionnelle, avec un gain de... 55%.