Septembre 2013. Un analyste technique montréalais expérimenté affirme dans les pages du cahier Investir que le titre de Bombardier (Tor., BBD.B) montre des signaux positifs, ce qui laisse croire qu'il représente une occasion d'achat. Moins d'un mois plus tard, l'action touche un sommet en plus de deux ans après avoir gagné 12 %. Elle n'ira jamais plus haut. Le titre de l'avionneur vaut aujourd'hui 70 % de moins qu'au moment du commentaire positif de l'analyste.
Chaque jour, nous sommes bombardés de prévisions. Et chaque jour, investisseurs, chefs d'entreprise et politiciens prennent des décisions critiques sur la base de ces anticipations, sans même en connaître la fiabilité. On les appelle des experts ou on les adule parce qu'ils ont prévu avec succès la crise de 2008.
Mais ceux qui affirment que le prochain krach boursier est imminent, par exemple, sont-ils de meilleurs prévisionnistes que le chimpanzé qui atteint le centre de la cible du jeu de fléchettes à force d'en lancer ? Et pourquoi ne pourriez-vous pas développer vos aptitudes afin de devenir un champion de la prévision ?
Nul besoin d'avoir un titre de CFA ou un doctorat en mathématique pour être un bon investisseur. Cela m'a paru encore plus vrai à la lecture du fascinant livre Superforecasting: The art and science of prediction, corédigé par Philip E. Tetlock, professeur à l'Université de Pennsylvanie et codirecteur de l'étude Good Judgement Project, et Dan Gardner, journaliste et auteur d'Ottawa.
Il est possible de devenir un as de la prévision, à condition de suivre certains principes et d'être prêt à travailler fort. Voici quelques idées que j'ai tirées de cet ouvrage qui, adaptées aux besoins des investisseurs, peuvent servir de fondement au plan qui vous permettra de devenir un champion de la prévision.
Ceux qui figurent parmi l'élite de la prévision suivent les nouvelles religieusement et ajustent leurs anticipations pour refléter tout développement significatif. Un vendeur à découvert publie un rapport incisif sur Valeant (Tor., VRX) ? Évaluez le risque qui en découle et vérifiez si cela peut avoir un effet sur la valeur de l'entreprise.
Une telle attitude vous donnera un avantage majeur sur les investisseurs qui accordent moins d'intérêt à l'actualité. Mais attention ! Il ne faut pas rejeter les informations passées à la faveur des actualités les plus récentes, car elles ont toutes une valeur, insistent les auteurs.
Passez de la théorie à la pratique
Comme c'est le cas lorsqu'on apprend à faire de la bicyclette, il faut passer de la théorie à la pratique pour devenir un pro de la prévision. Faites des prévisions, manquez votre coup, analysez vos résultats, essayez encore.
Les auteurs citent en exemple John Maynard Keynes qui, en plus d'avoir été un des plus célèbres économistes de l'histoire, était un investisseur d'exception. Sa force ? Il considérait les échecs comme une occasion d'apprendre et de cibler de nouvelles démarches.
Les superforcasters, la crème de la crème des prévisionnistes, ont un avantage surprenant, affirment les auteurs : comme ce ne sont pas des professionnels, ils accordent peu de place à l'ego dans leurs anticipations. Un comportement contraire à celui de bien des financiers qui défilent sur les ondes de la chaîne CNBC, par exemple.
Arborez un état d'esprit de croissance
Celui qui ne craint pas l'échec et pour qui l'ego n'est pas un obstacle peut cultiver ses capacités et ses talents afin de devenir un as de la prédiction. C'est ce qui s'appelle avoir un growth mindset, soit un état d'esprit de croissance, écrivent les auteurs, faisant référence à la méthode popularisée par la psychologue Carol Dweck.
Une grande majorité de gens limitent leur progression dans un secteur donné simplement parce qu'ils croient que leurs capacités sont innées. Ainsi, à force de dire «je suis mauvais en maths», vous freinez tout apprentissage et stagnez. C'est ce qui s'appelle avoir un état d'esprit immuable ou fixed mindset.
Favorisez un raisonnement probabiliste
Rien n'est sûr à 100 %. Pour passer maître dans l'art de la prévision, vous devez favoriser une façon de pensée probabiliste comme les scientifiques, plutôt que de remettre le sort des événements entre les mains du destin.
Il s'agit selon moi du principal défi à relever pour celui qui veut mieux anticiper les marchés.
Quelles sont les probabilités que le prix du pétrole remonte ? Les théories abondent. Avant de prendre une décision de placement touchant ce secteur, répondez à la question en établissant vos propres probabilités.
Comme le soulignent les auteurs, plus les perspectives à propos d'une question sont embrouillées, plus il est difficile de battre le fameux chimpanzé au jeu de fléchettes.
Les meilleurs prévisionnistes, dont fait partie le Montréalais Brian Labatte, consacrent beaucoup d'efforts à préciser les probabilités qu'ils associent à un événement. Est-il presque certain que le prix du pétrole remontera, peu probable ou totalement impossible ?
Bien des investisseurs concluront à la lecture de cette chronique qu'ils n'ont pas le temps nécessaire pour devenir des champions de la prévision. Mon objectif est surtout d'éveiller votre réflexe à remettre en question toutes prévisions. Comme dans l'exemple que j'ai donné sur Bombardier. Vous augmenterez ainsi les probabilités... de réaliser de meilleurs rendements en Bourse.
Suivez Yannick Clérouin sur Twitter @Clerouin_Inc