ANALYSE. Quand on regarde le secteur du commerce de détail à la Bourse, on a l'impression que la pandémie n'a vraiment rien révélé que nous ne savions pas déjà.
Oui, cette industrie a été bouleversée, comme toutes les autres. Les PDG doivent avoir passé plusieurs nuits blanches à se demander comment veiller à la sécurité de leurs employés et de leurs clients, tout en accélérant le développement de leurs ventes en ligne. Livrer tous les items commandés pendant la saison des fêtes promet aussi d'être tout un défi logistique.
Tout ça est vrai mais, derrière ces vagues, le courant va toujours dans la même direction. Ceux qui résistaient à la concurrence d'Amazon (AMZN, 3165, 69 $ US) ont continué à tirer leur épingle du jeu : Walmart (WMT, 140,89 $ US), Home Depot (HD, 282, 79 $ US), Best Buy (BBY, 114,49 $ US), Dollarama (DOL, 52,51 $), Couche-Tard (ATD-B, 45,95 $). Pendant ce temps, ça va de mal en pis pour les éclopés. L'action de Macy's (M, 5,96 $ US) est restée au plancher après le choc de mars. Parions que ceux qui s'opposaient à la privatisation de La Baie (approuvée le 27 février 2020) doivent maintenant pousser un soupir de soulagement de ne plus être actionnaires aujourd'hui.
La pandémie pourrait toutefois avoir changé durablement les choses pour l'un des gagnants, TJX Companies (TJX, 58, 36 $ US). Le propriétaire de l'enseigne Winners au Canada a un très bon modèle d'entreprise, quand on peut sortir de chez soi sans crainte.
Le détaillant américain vend les surplus des grandes marques dans ses magasins. L'attrait pour le client réside dans les bas prix et l'expérience de « chasse au trésor ». Pour les grandes marques, TJX leur donne une plateforme pour liquider leurs articles invendus en toute discrétion, ce qu'elles ne pourraient pas faire si elles écoulaient leur surplus en ligne. La grande majorité des ventes proviennent des États-Unis, tandis qu'un peu plus de 10 % des revenus sont générés au Canada et à l'international.
TJX était l'un des rares détaillants pour qui ne pas avoir de présence web ne semblait pas un problème (seulement 2 % des ventes). Ça semble moins certain aujourd'hui. « L'achalandage en magasin pourrait rester faible pour plusieurs mois, ou même trimestres si un plus grand nombre de clients favorisent le commerce en ligne, prévient Omar Saad, d'Evercore. Cette tendance pourrait durer aussi longtemps que nous serons dans un monde où il faut pratiquer la distanciation physique, ce qui serait un environnement difficile pour un détaillant qui n'est présent qu'en magasin. »
Le camp des gagnants
La mise en garde n'est pas surprenante en soi. Ce qui l'est plus est de voir à quel point la très grande majorité des analystes est convaincue que TJX sera dans le camp des gagnants. Des 27 analystes qui suivent le titre, 25 émettent une recommandation d'achat. Le marché affiche le même optimisme en accordant un multiple de 39 fois les bénéfices des 12 prochains mois.
Zain Akbari, de Morningstar, est l'un des rares analystes à trouver ce multiple trop optimiste. Il estime que l'action devrait s'échanger à 20 fois les bénéfices de 2022, ce qui l'amène à une cible de 50 $ US.
Ça n'empêche pas l'analyste de reconnaître que la situation n'est peut-être pas aussi périlleuse qu'elle en a l'air quand on regarde les résultats de plus près. Les revenus de TJX ont diminué de 32 % au deuxième trimestre. « À notre avis, ce chiffre est moins important que le recul de 3 % dans les ventes des magasins pour les périodes comparables où ils étaient ouverts. Ce déclin modeste est survenu malgré des difficultés avec les stocks et les efforts de distanciation physique. » La question sera de savoir jusqu'à quel point ces ventes étaient soutenues par un rattrapage de la demande, une réponse que nous aurons à la publication des prochains résultats, attendus en novembre.
La vente d'articles pour la maison a permis à TJX de sauver les meubles. Ce segment, où l'on compte notamment les enseignes HomeSense et Home- Goods, représente près du tiers des ventes de l'entreprise. Malgré la distanciation physique, les ventes de HomeGoods ont bondi de 20 % au deuxième trimestre tandis que plusieurs détaillants étaient fermés. Roxanne Meyer, de MKM Partners, estime que TJX est l'une des entreprises les mieux placées pour profiter de l'engouement des consommateurs pour les améliorations locatives.
Les inquiétudes au sujet du commerce en ligne sont surfaites, juge Janine Stichter, de Jefferies. Sa thèse optimiste à long terme n'est pas touchée par la pandémie, selon elle. « TJX a déjà résisté à plusieurs des périls que faisait planer le commerce en ligne, notamment la concurrence des "ventes éclair". L'achalandage a continué d'augmenter (avant la pandémie), malgré le déclin observé dans les centres commerciaux. Les consommateurs apprécient la "chasse au trésor" à la recherche d'une bonne aubaine. Cette expérience, qui entraîne un taux de satisfaction plus élevé, ne peut pas être reproduite en ligne. »
Dans cette période houleuse, les coffres de TJX sont assez garnis pour faire les investissements nécessaires, ajoute Kate Fitzsimons, de RBC Marchés des capitaux. La société dispose de 6,6 milliards de dollars américains qu'elle peut déployer à sa guise.
TJX affiche toujours la mine d'un gagnant dans l'adversité, mais avec un titre à 39 fois les bénéfices, on peut se demander si le marché ne table pas à tort sur une victoire facile.
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Je m'en voudrais de ne pas vous dire que la manchette d'Affaires Plus (encarté dans ce numéro) présente les 12 titres favoris de quatre experts. Un sujet qui, j'espère, plaira aux lecteurs de la section Investir.