CHRONIQUE. En 2020, le Conseil du trésor du Québec évaluait à 28,2 milliards le «déficit de maintien d’actifs»(DMA) des infrastructures matérielles québécoises, lequel est défini selon des critères qui n’apparaissent pas indûment exigeants. Les deux tiers de ce déficit concernent les routes. Mais aucun actif sous la responsabilité de l’État québécois n’y échappe. Écoles, cégeps, universités, réseau de la santé, transport en commun, équipements culturels, logements sociaux… le DMA est partout. Si on y ajoutait le coût de l’analphabétisme fonctionnel, du manque chronique de ressources humaines en santé, en services sociaux et en éducation, je frémis à l’idée du nombre de milliards de dollars auquel on arriverait.
Bureaucrates et politiciens besognent à résorber chacune de ces crises. Parfois depuis des années. Et il y en a encore pour des années. Dans le meilleur des cas. Pourquoi n’entendon jamais un décideur demander comment nous en sommes arrivés là?
Il est dans l’ADN des politiciens de blâmer leurs prédécesseurs. Les crises actuelles ne sont pourtant pas le fait de mauvais prédécesseurs. Elles découlent de décennies de manque d’horizon, de manque de vision, de décisions à courte vue ou clientélistes, de manque de rigueur d’exécution, toutes permises par un abyssal déficit d’imputabilité. Ces problèmes transcendent les gouvernements successifs. Le problème est structurel. À défaut de s’attaquer à la source structurelle des problèmes, on ne fera que multiplier les diachylons sur des cancers.
On ne parle jamais de la mère de toutes les infrastructures : l’État. C’est une infrastructure immatérielle. Elle est faite de répartitions de responsabilités, de règles de gouvernance, d’imputabilité, de clarté des objectifs et des mandats, bref, de tout ce qui fait qu’on décide collectivement quoi faire, quand le faire et comment le bien faire. Chaque fois qu’on dit qu’un problème est le fruit de décennies de négligence ou d’incurie, on évoque, sans le nommer, un dysfonctionnement de l’infrastructure étatique.
Maladies chroniques
Ce dysfonctionnement est la source de tous les problèmes d’infrastructure et autres maladies chroniques de l’État. L’État titube de crise en crise, la plupart auto-infligées par sa propre incurie. Quant aux crises d’origine externe, comme la COVID-19, elles révèlent une injustifiable impréparation aux inéluctables cygnes noirs. Je parle du Québec, mais je pourrais tout aussi bien parler des États-Unis, de l’Ontario ou du Canada.
Il faut revoir les fondements de la gouvernance de l’État et de son processus de décision. Où s’arrête le politique? Où commencent les opérations ? Confions au politique les grandes orientations et le contrôle. En revanche, dépolitisons les opérations. Si le ministre de la Santé gère plutôt bien la crise actuelle, il n’est ni sain ni normal qu’il soit le chef de l’exploitation de son ministère.
Plusieurs ministères opérationnels seraient avantageusement remplacés par des sociétés d’État ou d’autres organismes autonomes, à qui on confierait des mandats clairs, dont ils seraient imputables sur des objectifs mesurables à court et à long terme. Leurs dirigeants verraient leur rémunération varier en fonction de l’atteinte de ces objectifs, une partie n’étant payable qu’après quelques années, en fonction des résultats pérennes. Oui, c’est un exercice difficile. Il est non moins nécessaire.
Ce ne sont là que des pistes de réflexion — d’autres personnes peuvent favoriser d’autres stratégies. Mais à défaut d’un virage radical, nos enfants seront encore en train de parler des mêmes crises — en pire — dans 30 ou 40 ans.
Soyons clair : je ne préconise ni la suppression ni le rétrécissement de l’État. J’en préconise une réingénierie radicale et courageuse. Vaste programme. De quoi occuper une commission d’enquête pendant un an ou deux...