BLOGUE INVITÉ. La saga des contrats cachés semble avoir sérieusement fait perdre des plumes à Denis Coderre, cette semaine.
Pour la toute première fois depuis le début de la campagne municipale montréalaise, un nouveau sondage réalisé par la firme Mainstreet Research indique que Valérie Plante aurait pris les devants dans les intentions de vote, après être restée nez à nez avec son principal adversaire pendant plusieurs semaines.
L’écart de pas moins de 6 points qui sépare maintenant le chef d’Ensemble Montréal de sa successeure à la mairie est assez révélateur de l’impact qu’ont eu les événements des derniers jours sur l’effritement de ses appuis.
Plus tôt cette semaine, la mairesse sortante a fait un parallèle entre cette histoire et l’affaire de la Formule E, qui avait complètement fait dérouter la campagne de Denis Coderre en toute fin de parcours en 2017. Elle n’a pas tout à fait tort.
Je peux en témoigner; comme ancien candidat de l’Équipe Coderre dans Ahuntsic-Cartierville, j’étais à l’époque aux premières loges pour assister, ébahi, à ce déraillement catastrophique.
Le spectre de la Formule E
Je me souviens de ce frisquet matin du mercredi 1er novembre 2017 comme si c’était hier. Nous étions à seulement quatre jours du fil d’arrivée et notre campagne allait somme toute assez bien sur le terrain jusque-là.
Ce matin-là, comme j’en avais l’habitude tous les matins, je me suis rendu dans une des deux stations de métro de mon district pour rencontrer les citoyens, distribuer des dépliants avec des bénévoles et échanger avec les électeurs.
Ce matin-là, les journaux titraient en première page que, sur les 45 000 spectateurs de la Formule E, seulement 5000 avaient véritablement payé leur billet. Après des mois de réponses évasives et de refus à rendre les chiffres publics — le maire insistait alors pour dire qu’ils seraient dévoilés seulement après l’élection — le flop monumental était finalement révélé au grand jour, à peine quatre jours avant le vote. Denis Coderre et les promoteurs du ePrix ont eu beau tenter de contredire ces informations, c’était malheureusement trop tard. Dans la tête de nombreux Montréalais, le mal était déjà fait.
Ce matin-là, j’ai cessé de distribuer des dépliants où on voyait la photo de Denis Coderre. Soit parce que les citoyens refusaient systématiquement de les prendre, soit parce qu’ils faisaient demi-tour pour me les redonner quelques secondes après les avoir pris, quand ils ne les jetaient pas tout simplement à la poubelle sous mes yeux. «Oh non, pas lui!», m’a même lancé une vieille dame en voyant le visage du maire sortant, comme s’il s’agissait presque du diable en personne.
Ce matin-là, j’ai compris que les Montréalais avaient le sentiment d’avoir été trahis par leur maire parce qu’on leur avait caché pendant trop longtemps une information qui aurait dû être partagée avec eux dès le mois d’août. D’un jour à l’autre, le changement dans la réponse des citoyens était radical. Le lien de confiance avec le public était désormais brisé, à n’en pas douter.
Ce matin-là, j’ai compris que nous allions perdre l’élection. Les nuages gris de l’automne n’étaient plus juste dans le ciel; ils étaient aussi au-dessus de nos têtes.
Répéter les mêmes erreurs
Quatre ans plus tard, Denis Coderre a-t-il tiré des leçons de cette défaite? La question se pose, alors qu’il a commis plusieurs des mêmes erreurs qu’en 2017 au cours des derniers mois.
Et si on se fie au sondage Mainstreet dévoilé hier, son dernier faux pas en date pourrait bien lui avoir coûté la victoire, dimanche prochain.
À moins d’une semaine du vote, cet épisode a fait ressortir le côté plus sombre de l’ancien maire; on a vu un Denis Coderre belliqueux, entêté, en confrontation directe avec les journalistes qui lui posaient des questions tout à fait légitimes — et hautement prévisibles, comme à chaque élection — sur ses potentiels conflits d’intérêts.
Ce même Denis Coderre cachottier et bougonneux qu’une majorité de Montréalaises et de Montréalais avait rejeté en 2017. L’homme qui disait avoir complètement changé en quatre ans était soudainement de retour dans nos écrans de télévision.
Pendant quatre précieux jours de cette fin de campagne, le chef d’Ensemble Montréal est tombé dans le piège et s’est obstiné à faire preuve d’opacité, offrant des explications trop souvent boiteuses pour tenter de justifier son refus de collaborer…
Pour finalement se rendre à l’évidence qu’il n’aurait d’autre choix que de dévoiler ses sources de revenus pour mettre fin à la controverse. Comme ce fut le cas avec la Formule E en 2017, une telle attitude laisse une impression de manque d’honnêteté et de transparence qui risque bien de renforcer la méfiance d’une partie de la population.
Coderre aurait certainement mieux fait de dévoiler ces documents quand c’était le bon moment — on n’en parlerait probablement déjà plus, car soyons honnêtes, il n’y a absolument rien d’illégal ou de mal dans le fait qu’un ancien élu gagne bien sa vie une fois de retour dans le secteur privé. Là n’est pas le problème.
C’est d’avoir attendu aussi longtemps avant de les rendre publics qui aura sans doute été une erreur stratégique majeure de cette campagne. Après quatre longs jours à se débattre sur la place publique et à essayer de défendre l’indéfendable, c’était peut-être malheureusement trop tard.
Une reprise du même film?
On connaîtra dans deux jours le verdict des électeurs de la métropole. Mon petit doigt me dit toutefois que Denis Coderre et son entourage pourraient regretter encore longtemps la tournure de cette dernière semaine.
Quand il a annoncé son grand retour sur la scène municipale, au printemps dernier, l’ex-maire s’attendait probablement à un match revanche assez facile face à Valérie Plante. Au terme d’une campagne maladroite truffée de mauvaises décisions, il s’est peut-être plutôt retrouvé à jouer dans le même film qu’en 2017…
Quelle fin de course décevante pour un politicien aguerri qui préparait son coup depuis bientôt quatre ans!