Les Québécois ne le disent pas ouvertement: ils sont sûrs d’être très bons conducteurs automobiles. Et en toute circonstance. Des tempêtes de neige, de la poudrerie? Emmenez-en, ils savent comment faire! Ils ne se gênent pas pour avoir un sourire entendu ou des propos moqueurs quand la télé leur montre les effets d’une accumulation soudaine de neige dans un endroit de la planète (en France, dans le sud des États-Unis, par exemple) habituellement épargnés par de telles manifestations climatiques: tamponnages en série, véhicules dans le décor et caetera.
Mais est-ce bien vrai?
Vous avez en tête, j’en suis sûr, ce carambolage monstre le mois dernier dans les environs de Sainte-Adèle: 40 voitures embouties, tôles tordues, passagers à libérer à l’aide de pinces de désincarcération. Le tout par un froid de canard. Savez-vous qu’en raison du mauvais temps, au cours de cette journée du 27 janvier, 150 accidents se sont produits sur les routes du Québec? Oui, 150 accidents dûment répertoriés, dont l’un a causé trois décès. De quoi occuper assureurs et avocats.
Ce ne sont pas là des chiffres très reluisants. Ben oui, on va évoquer la chaussée glissante, les vents déchaînés, la vue obstruée par des bourrasques, la glace noire. Et surtout les erreurs des autres. Les autres conduisent trop vite, c’est connu. C’est pas de ma faute, oh non! Les jeunes conduisent trop vite, monsieur le policier: ils font des zigzags, nous serrent les fesses de trop près. De vrais dangers publics, monsieur le policier; on devrait être beaucoup plus sévères avec eux.
Ils se prennent pour Schumacher, pour Villeneuve: ils pensent avoir la main sûre, des réflexes à toute épreuve! C’est vrai... il faut les comprendre un peu: les pubs à la télé leur montrent des voitures qui roulent à tombeau ouvert, qui freinent sur un dix cennes, grimpent des abrupts, font des dérapages contrôlés. Ils sont sûrs de faire pareil... même mieux, les pauvres.
Mais vous pourriez être plus sévère avec tout le monde, monsieur l’agent...
Chers lecteurs, lectrices, je vous entends hurler: «Quoi! Les flics nous collent des contraventions pour un oui, pour non! Ils se cachent pour mieux nous piéger!» Vous n’avez pas tort: ils pourraient faire autre chose; entre autres, prendre le temps de nous éduquer à mieux conduire.
Parce qu’il n’y a pas que dans les Antilles ou dans les pays exotiques où les gens conduisent sans se soucier des règles de la circulation. Ici aussi. Combien de fois des automobilistes passent d’une voie à l’autre sans indiquer leur intention en clignotant? Combien roulent à gauche à une vitesse de teuf-teuf? Combien d’autres, oui, ne savent pas reconnaître le panonceau signifiant «Cédez»? Et ceux-là qui vous envoient leurs “grosses” en pleine face sans se soucier de vous aveugler?
Tout ça pour dire que Transports Québec, via la bien-aimée Société de l’Assurance automobile, devrait mettre ses culottes en la matière. Il y a, mesdames et messieurs, un laxisme effarant en nos terres. Aussitôt après atteint l’âge requis, nous décrochons notre permis de conduire, et à nous la liberté! À tous les quatre ans, avec fidélité, la SAAQ nous propose, moyennant quelques beaux dollars, de renouveler notre permis de conduire. À moins de souffrir d’une maladie de nature à diminuer nos capacités physiques ou mentales, nous pouvons ainsi renouveler le précieux permis sans nous faire poser de questions jusqu’à un âge avancé. Sans que l’État ne se soucie de savoir si nous connaissons bien ou non le Code de la route. Tous les jours, l’État nous dit: «Conduisez prudemment, n’allez pas vite, ne buvez pas, de téléphonez pas, ne textez pas au volant.» Jamais, il ne s’inquiète de savoir si nous savons conduire.
Savoir conduire, ce n’est pas seulement être capable tenir un volant dans ses mains et d’appuyer sur une pédale de frein ou d’accélérateur. Tout bon instructeur d’une école de conduite automobile enseigne aux aspirants-conducteurs qu’il faut constamment balayer la route des yeux, jeter un oeil dans le rétroviseur principal et dans les rétroviseurs latéraux. Qu’il faut se dire que peut-être les autres ne nous ont pas vu et qu’il faut prévoir leur comportement. Mais combien de gens conduisent en faisant toutes sortes de choses au volant: parler, téléphoner, lire des textos, en écrire, et parfois même boire, se raser, se peigner, se maquiller, se curer le nez, se brosser les dents, s’embrasser (si! si!), oremus! L’acte de conduire demande tout de même un minimum d’attention et de concentration, non?
On nous promet des autos qui vont se conduire toutes seules. D’ici là, je me permets de suggérer au gouvernement de nous obliger, à tous les huit ans par exemple (vous voyez, je ne suis pas trop exigeant), de repasser notre permis de conduire. Toute personne qui raterait la partie relative au Code de la route écoperait d’une amende salée et d’une suspension temporaire de son permis de conduire.Je suis persuadé – je vous gage ma dernière cenne noire là-dessus – qu’il y aurait beaucoup moins d’accidents sur nos routes. Et que collectivement nous sauverions beaucoup, beaucoup d’argent.