Monsieur Coderre, vous avez sûrement mangé à la Taverne Magnan un jour ou l’autre. Lisez ce qui suit, cela pourrait vous intéresser. Sinon vous interpeller.
Donc, cet établissement fermera ses portes le 21 décembre, après 82 ans d’existence. La nouvelle a résonné comme un coup de tonnerre: l’onde de choc s’est répandue dans les médias, dans les conversations autour d’une tasse de café, dans les chaumières. Partout.
Car il ne s’agit pas simplement de la fermeture d’un commerce: il s’agit d’une vénérable et véritable institution qui disparaît du paysage de Montréal. Il ne s’agit pas seulement du résultat d’activités concurrentielles dans un univers capitaliste normal, il s’agit de la mort d’un symbole. Mort qui devrait sonner des cloches aux oreilles des gens préoccupés de l’avenir de la restauration montréalaise et surtout des atouts touristiques de la métropole québécoise.
Cela fait déjà plusieurs décennies que la ville fondée par le sieur de Maisonneuve pavoise: sa gastronomie, répète-on, n’a pas d’égale en Amérique du Nord. Et les bons touristes – du Québec et d’ailleurs – avalent ce message et se pressent en grand nombre pour venir y manger. Les retombées se chiffrent en dizaines et dizaines de millions de dollars chaque année.
Pourtant, des lieux comme Magnan ferment.
Ses propriétaires invoquent une baisse d’achalandage au cours des décennies due au changement de clientèle, à un trop grand nombre des restaurants dans le Grand Montréal, à une économie fragilisée. Ils y ajoutent des coûts d’approvisionnement qui s’élèvent de mois en mois, des travaux de voirie qui créent des embûches à qui veut venir s’asseoir chez Magnan.
Et ne comptez pas sur un changement de décision: l’immeuble est déjà vendu. La page est tournée.
La page de Magnan, oui. Espérons que celle de la restauration à Montréal n’en vienne pas à être déchirée.
Disons-le tout net: cette restauration n’est plus ce qu’elle était. Et l’avenir touristique de Montréal pourrait en souffrir. Je ne parle pas ici que de grandes tables, mais aussi d’établissements étroitement associés à Montréal.
Au fil des ans, Montréal a perdu des figures de proue comme Ruby Foo’s et Dagwood’s sur le boulevard Décarie, Le Lutin qui bouffe, Chez Bardet, Les Halles, Le Nizza, Le Latini, Le Piémontais. Sans compter la Rôtisserie Laurier, Ben’s et Desjardins qui était le haut-lieu du homard. Ces restaurants n’étaient pas comme les autres, oh non: ils étaient identifiés à Montréal. Comme la Taverne Magnan.
Qu’arrivera-t-il bientôt de Moishe’s, de Schwartz's, du Toqué? Et même de Lesage et de ses frites? Ou encore de Mylos?
On me répondra qu’il n’y a pas le feu au lac, qu’il n’y a pas de quoi s’inquiéter. De nouveaux restaurants éclosent chaque semaine, il n’y a jamais tant eu de cafés et de bistrots au centre-ville et dans tous les quartiers. On arguera que la qualité moyenne s’est accrue de façon significative.
Peut-être. Mais, comme n’importe ville qui se veut «gastronomique», Montréal doit s’ancrer dans une tradition. Dans des établissements représentatifs. Et ce n’est pas des restaurants à la new-yorkaise et autres Madison’s qui vont contribuer au visage distinctif de Montréal en ce domaine.
Je reviens à vous, Monsieur le Maire. Nous savons que vous croyez en l’avenir du baseball professionnel à Montréal. Vous êtes même intervenu pour faire préserver des terrains de baseball au parc Jarry. On voit que vous avez des convictions.
Celles-ci s’étendent-elles à la restauration? Dans l’affirmative, je vous recommanderais de mettre sur pied un comité de réflexion sur l’avenir de la restauration à Montréal, sur les stratégies à imaginer et à déployer pour que la ville que vous dirigez, pour que l’agglomération dans laquelle elle s’inscrit, gardent leur pouvoir attractif.
Ce ne sera pas quand d’autres Magnan fermeront, quand Montréal sera une ville comme les autres que ce sera le temps d’y penser.