La ville d’Ottawa est-elle bilingue? Officiellement non; dans les faits, encore moins. Triste réalité, dure à accepter. Encore plus dure à comprendre.
Dans la campagne électorale à la mairie, le débat sur le statut d’Ottawa a repris une vigueur nouvelle. Jim Watson, le maire sortant qui se représente à son poste, soutient qu’il n’est pas nécessaire de donner ce statut à la ville: à son avis, celle-ci offre déjà des services en français. Se lancer dans une telle opération coûterait inutilement trop cher.
Rappelons que c’était, en 1970, l’une des principales recommandations du rapport la Commission d’enquête sur le bilinguisme et le biculturalisme (dite Laurendeau-Dunton). En 1970, oui. Le Mouvement pour une capitale officiellement bilingue, qui regroupe des juristes, des universitaires et des gens d’affaires, l’a remise de l’avant. Quarante-quatre ans plus tard...
Regardons les choses en face: est-il normal que la capitale d’un pays officiellement bilingue, au voisinage de l’Outaouais, région majoritairement francophone, soit officiellement anglophone? Comme toutes les capitales du monde, Ottawa est une vitrine. Pour ce, elle reçoit beaucoup d’argent des instances fédérales – et également ontariennes – pour être continuellement embellie, pour accueillir des équipements publics, pour attirer des visiteurs.
La Belgique et le Nouveau-Brunswick sont des États officiellement bilingues. Leurs capitales respectives, Bruxelles et Moncton, sont officiellement bilingues. C’est la normalité des choses. Tant que ce ne sera pas le cas à Ottawa, le français restera une langue de seconde zone. Brrr!
Un petit exemple. De passage récemment à Ottawa, j’ai eu l’audace, l’inconscience, appelez ça comme vous voudrez, de m’adresser en français à deux employées de la LCBO, l’une dans la cinquantaine, l’autre dans la vingtaine. Si elles avaient pu me lancer des bouteilles à la figure, je serais sûrement défiguré aujourd’hui. Le ton glacial de leurs réponses a dû faire tomber de plusieurs degrés la température ambiante du magasin.
Pourtant, le LCBO (Liquor Control Board of Ontario) est un organisme public relevant du gouvernement ontarien. Et nous étions à Ottawa et non dans une lointaine bourgade perdue au fin fond des bois. Si la ville d’Ottawa, capitale du Canada, ne donne pas l’exemple, pourquoi alors les entreprises commerciales, publiques et privées, se décarcasseraient-elles pour satisfaire, sur son territoire, une clientèle parlant français?
Quel est le message lancé aux visiteurs nationaux et étrangers? Que le Canada est un pays anglophone. Si c’est ce que pensent les édiles de la capitale, donnons raison aux partisans purs et durs d’un Canada: dépenser de l’argent pour offrir des services en français, c’est le jeter par les fenêtres.
Il n’y a pas là de quoi fouetter un chat, direz-vous. Au contraire, il s’agit de cohérence. Et de respect. Je suis un citoyen canadien mais je n’aimerais pas vivre quotidiennement à Ottawa. Plus encore: le débat n’est pas qu’interne au Canada: Ottawa est la capitale fédérale et ce qu’elle est officiellement sur le plan linguistique appartient, en vertu de cette réalité, à un cadre beaucoup plus vaste qui déborde les frontières du Canada.
Les visiteurs qui repartent d’Ottawa peuvent, sans se faire des problèmes de conscience, diffuser chez eux, donc sur la scène internationale, que le Canada est un pays anglophone, que sa capitale est anglophone. Ils auront pu voir çà et là des affiches en français... et les considérer comme des curiosités d’un autre âge.