BLOGUE INVITÉ. En sociologie, on définit la fuite ou l’exode des cerveaux comme étant le flux migratoire de personnes hautement qualifiées dans leurs champs d’expertises. C’est la « fuite » de certains scientifiques et chercheurs dans les années 50 et 60, vers des pays offrant de meilleures conditions de vie, de travail, d’études et salariales.
L’un des exemples les plus marquants est celui d’Albert Einstein qui partit de la Suisse vers l’Allemagne, puis vers les États-Unis afin d’y finir sa vie. En France, on se rappelle le départ fracassant pour les États-Unis du Professeur et Prix Nobel de médecine Luc Montagnier.
Cependant, aujourd’hui, il n'y a pas que des scientifiques et chercheurs de renom qui s’envolent, avec leur immense savoir, vers de meilleures conditions, cet exode est maintenant une dure réalité du marché du travail qui touche plusieurs industries.
La mondialisation ayant fait disparaître de nombreuses frontières combinées à une guerre financière de haute voltige entre institutions de toutes sortes, les entreprises, universités et centres de recherche du monde entier luttent tous afin de s’offrir la crème de la crème.
Au Québec, nous traversons depuis le début de cette pandémie de multiples changements qui redéfinissent grandement notre manière de vivre, d’étudier, de travailler et tout ce qui tourne autour. Face à ces multiples défis, nous pouvons aujourd’hui, avec un peu plus de 12 mois «d’expériences», commencer à tirer certains constats accablants.
Les conséquences directes des mesures sanitaires n’ont pas uniquement modifié notre quotidien, elles ont aussi et surtout drastiquement mis en péril des industries au grand complet. Transport aérien de loisir, restauration, bars, hôtellerie, salles d’entraînement et malheureusement bien plus encore.
Depuis plus d’un an, des dizaines de milliers d’entrepreneurs, restaurateurs, hôteliers, entraîneurs et toutes leurs équipes font face à l’inconnu. Un peu comme le supplice de la goutte d’eau, chaque annonce, chaque prise de parole leur fait vivre de véritables montagnes russes d’émotions. De la rage à l’espoir et de l’envie de se battre à l’envie de tout abandonner, ils vivent un véritable cauchemar sans fin.
En discutant avec plusieurs acteurs de ces diverses industries au fil des derniers mois, un constat commun m’a sauté aux yeux. Nous vivons un «exode interne» de cerveaux.
En raison de l’incertitude ambiante, des milliers d’employés ont décidé de rediriger leur carrière afin de ne plus vivre ces aléas plus que stressants. Tristement, le sommelier, ayant étudié son art une dizaine d’années, a choisi de se lancer dans la vente de condos. La femme de chambre, cumulant une vingtaine d’années en hôtellerie, a décidé de prendre un emploi dans un centre de distribution. Le pilote d’avion, cloué au sol, a fait le choix de se lancer en affaires.
Bien que certaines personnes voient dans cette transition une réinvention, je le vois, pour une bonne partie des cas, comme un «exode interne» de cerveaux. Ces personnes ne déménagent pas dans un autre pays afin d’avoir de meilleures conditions. Elles sont obligées, malgré la passion pour leur emploi, d’accepter de laisser derrière leurs bagages d’expériences et de connaissances afin de ne plus vivre l’incertitude du quotidien. Bien que ces gens restent physiquement au Québec, leur savoir, lui, s’envole.
L’économie semble tenir bon face à cette crise, mais qu’en est-il du savoir-faire collectif que nous voyons fondre comme neige au soleil? Quand la situation reviendra à la normale, il faudra plusieurs années à ces diverses industries avant de retrouver des équipes aussi qualifiées qu’avant la pandémie.
Ce troublant constat doit absolument être pris en compte dans notre relance si l’on ne veut pas perdre des milliers d’années d’expériences et de savoir-faire!