À LA CHASSE. L’été dernier marquait un tournant pour moi, car j’aurai désormais passé plus de temps au Québec qu’en France. Comment me sentirais-je si je devais rentrer? Assurément, je vivrais un choc culturel. Retourner dans son pays d’origine après plusieurs années n’est pas un retour, mais une arrivée. Je me souviens d’ailleurs un jour, dans un café, à Paris, m’être fait répondre en anglais par le serveur qui croyait que j’étais une Américaine bilingue. Misère!
Récemment, je rencontrais une candidate qui a passé une grande partie de sa carrière en Asie. Son retour est plus difficile et ardu qu’elle ne l’avait envisagé. Elle se sent touriste chez elle et elle a perdu ses repères. Elle constate qu’elle ne parle plus tout à fait le même langage même si elle est francophone. Les recruteurs n’arrivent pas à reconnaître et à valoriser son expérience. Elle réalise qu’elle avait, à tort, idéalisé son retour. Ses anciens employeurs ne sont pas connus ici, ses rôles et responsabilités ne résonnent pas de la même façon. Elle a le sentiment de repartir à zéro pour se rebâtir une crédibilité et une légitimité.
Étrangement, il est plus facile d’arriver dans un environnement non familier. L’absence d’historique de vie et de relations vous amène à vous positionner dans un rôle de «novice» et de faire preuve d’humilité pour vous faire accepter. La «repatriation» s’apparente à l’immigration.
Après la joie des retrouvailles, l’accueil par les amis et la famille finit par se tiédir inévitablement. Ce qui est généralement constaté, c’est que les gens perdent rapidement l’intérêt à entendre parler de votre expérience ailleurs. Au travail, ceux qui reviennent ont le sentiment que leur expérience n’est ni reconnue ni valorisée. S’ils insistent trop sur leur vie et expérience passées, ils peuvent même ressentir une franche hostilité de la part de leurs équipes d’accueil lorsqu’ils en parlent. Inconsciemment, de part et d’autre, une incompréhension mutuelle teintée de jalousie s’installe. Ceux qui l’ont vécu me l’ont tous confirmé. Comme si on les enviait quelque part d’avoir eu le courage (ou l’occasion) de partir et que vous revenez «donner des leçons», même si ce n’est pas le cas. Finalement, on n’est plus vraiment chez soi nulle part.
Chaque crise ramène des employés qui veulent retrouver leurs racines par besoin de sécurité. Je me souviens qu’après le 11 septembre 2001, de nombreux candidats revenaient au pays par besoin de se sentir rassurés «à la maison». Dans le contexte économique et géopolitique actuel, plusieurs Québécois songent à revenir. Pour d’autres, c’est l’appel de la famille, les parents qui vieillissent, ou encore la nostalgie de leurs racines.
Avec la pénurie de main-d’oeuvre, ils ne sont pas trop inquiets sur leurs possibilités de trouver un emploi ou encore de se faire rapatrier par leur employeur. Pourtant, même avec un emploi en poche, le processus est délicat et cette idée d’implantation rapide dans un milieu de travail est irréaliste.
Définir un nouveau projet de vie est la clé d’un retour réussi. Oubliez la progression ascendante instantanée. Personne ne vous attendait. Il faut montrer «patte blanche»et accepter une période transitoire, comme un palier de «mise à niveau», qui peut durer entre 6 et 12 mois, selon les cas. Croire qu’il est possible de reprendre sa vie là où on l’a laissée, avec une promotion en prime, est une erreur. Il faut se donner du temps, accepter de redécouvrir votre ville (qui a souvent bien changé) dont vous ne reconnaissez plus «ni les murs ni les rues», comme le chantait Charles Aznavour. Rebâtir un nouveau réseau sur les bases de l’ancien. Poser des questions, être proactif pour chercher à comprendre comment les choses ont évolué, plutôt que de chercher à valoriser instantanément votre «coffre à outils». Vous garderez ça pour plus tard quand vos assises seront plus solides.
En attendant, observez, respirez et souvenez-vous pourquoi vous êtes revenu. Il n’y a pas de hasard dans la vie. Votre retour est un cadeau pour votre communauté, mais laissez-lui le temps d’en mesurer la valeur.