BLOGUE INVITÉ. À travers ce blogue, mon intention est de vous donner une perspective autochtone du leadership et du développement des affaires. Pour cette première parution, il m’apparaissait opportun d’aborder la formation pour les dirigeants, un sujet qui me touche particulièrement et qui constitue selon moi la base pour assurer un leadership efficace et optimal, et ce, autant pour les dirigeants et gestionnaires des organisations autochtones qu’allochtones.
Comme le dit si bien Laurent Lapierre, professeur honoraire à HEC Montréal : «On dirige comme on est». Il est donc important d’être à l’affût et attentifs aux signaux que peuvent nous donner nos équipes et collègues.
Il n’est pas rare de se retrouver dans un poste de direction sans avoir toutes les connaissances et compétences nécessaires. Cela n’a rien d’alarmant. Nous devons être candides et avouer qu’on ne connaît pas tout. Et, entre vous et moi, c’est tout à fait normal de ne pas être expert en tout.
Dans un monde en perpétuel mouvement, les dirigeants et gestionnaires d’organisations doivent être en ajustement constant. S’ils désirent progresser et contribuer activement à la pérennité de leur organisation, le perfectionnement de leurs compétences en continu est essentiel.
Le leader, un vecteur de changements positifs
En milieu autochtone, il faut reconnaître que nos leaders font face à des défis différents, notamment en raison du contexte socioéconomique dans lequel ils évoluent. Les responsabilités sont grandes, et la notion de communauté occupe une place prépondérante dans les esprits et dans les préoccupations individuelles.
Lorsqu’ils sont questionnés sur ce qui les motive à se dépasser, les dirigeants et gestionnaires autochtones diront presque sans exception qu’ils le font pour contribuer à l’épanouissement de leur communauté et qu’ils ressentent la nécessité d’être un modèle pour leurs pairs. En poursuivant leur développement, ils atteignent certainement ce double objectif.
Parce que nos leaders sont motivés par la volonté d’être des vecteurs de changements positifs dans nos communautés, il est essentiel d’intégrer les dimensions culturelles et identitaires dans les formations. À cet égard, la transmission de la culture et des connaissances ancestrales est une composante clé du perfectionnement du leadership autochtone.
Etuaptmumk, la vision à deux yeux
Chez les Mi’gma, nous avons la vision à deux yeux («Two-eyed seeing» en anglais ou «Etuaptmumk» en mi’gmaq). À l’Université du Cap-Breton, l’aîné mi’gma Albert Marshall l’a introduite comme principe directeur dans le parcours de coapprentissage en sciences intégratives. Elle se veut l’équilibre de nos visions différentes du monde : autochtone et occidentale. Bref, le «Business as usual» n’est simplement plus soutenable.
Dans un milieu universitaire qui s’adresse à des autochtones, cette vision est primordiale. Par ailleurs, dans un monde où les sociétés de tous genres doivent se réinventer pour faire face aux défis de la modernité comme les changements climatiques, incorporer un œil plus traditionnel et axé sur la totalité du monde est une question de survie pour nos générations à venir. Il faut être dans une posture de coconstruction et donc considérer les deux visions.
L’aîné Marshall explique que, par cette vision, nous devons apprendre à voir d’un œil les savoirs et forces des connaissances autochtones, comme le respect de la terre et de l’eau et la valorisation de tous les êtres vivants, et de l’autre œil, les connaissances occidentales, pour ainsi réapprendre à utiliser ces deux yeux ensemble, au bénéfice de tous. Donc, de naviguer ensemble dans le même canot et d’apprendre à se connaître pour mieux se comprendre.
La nécessité d’une nouvelle révolution tranquille
À travers le Canada, dans divers établissements, nous voyons de plus en plus d’initiatives qui intègrent les savoirs autochtones dans leurs cursus. On pourrait même dire que les peuples autochtones entreprennent actuellement une sorte de révolution tranquille, semblable à celle que le Québec a vécue dans les années 1960, qui a fait naître de nouveaux leaders et construit le «Québec inc.».
Qui sait, peut-être verrons-nous apparaître bientôt, nous aussi, l’«Autochtone inc.», grâce à l’essor d’un nouveau leadership autochtone? Après tout, l’histoire du Québec et des Premières Nations s’est tressée grâce au commerce entre nos peuples depuis plus de 400 ans … Qu’en sera-t-il de notre avenir?
En conclusion, la formation continue pour les dirigeants offre assurément aux leaders les outils nécessaires pour stimuler et entretenir leur état d’esprit, tout en développant des habiletés de gestion stratégique et d’affaires.
Pour faire une analogie que j’emprunte au chroniqueur du «CEOWORLD Magazine», Lars Vestergaard, les dirigeants et gestionnaires d’organisations sont comme les athlètes professionnels. Ce n’est pas parce qu’ils sont rendus au sommet de leur discipline ou qu’ils ont gagné des médailles qu’ils doivent arrêter de s’entraîner. C’est plutôt le contraire.
Pour rester dans le cercle, il faut y mettre le temps, l’énergie, la volonté, et ce, en ajoutant un nouveau regard, un nouvel œil, de nouvelles perspectives.