EXPERT INVITÉ. Tout joueur aimerait détenir une carte maîtresse dans son jeu. Posséder une telle carte peut rétablir l’équilibre entre joueurs de force inégale ou encore déterminer l’issu de la partie. Le problème, c’est que certains n’en ont pas dans leur jeu et, pis encore, d’autres l’ont en main, mais ne l’utilisent même pas!
C’est à mes yeux un peu le cas du Québec avec l’aluminium transformé. Le Québec possède une structure industrielle qui s’appuie surtout sur la production et la vente à l’étranger de produits d’aluminium de première transformation.
Cela est très bien, mais la deuxième et la troisième transformation ne sont pas encore exploitées à leur plein potentiel.
Malgré tous les efforts et doléances de l’écosystème québécois de la transformation de l’aluminium, l’impression est que l’on agit, mais sans jamais tirer de toutes les possibilités qui s’offrent à nous.
Pourtant, une analyse sommaire de l’industrie de l’aluminium transformé démontre son potentiel à de créer une richesse durable pour le Québec.
Tout d’abord, les 1 700 transformateurs qui se retrouvent en majorité dans la grande région de Montréal, mais aussi au Saguenay–Lac-Saint-Jean constituent une masse critique non négligeable.
Les 30 000 emplois sont aussi considérables.
Une industrie structurante au Québec
Le sondage réalisé en 2022 par Sous-traitance industrielle Québec (STIQ) auprès des entreprises de l’industrie dans le cadre du 8e baromètre annuel de la transformation de l’aluminium en dit long sur l’impact de cet écosystème.
Ainsi, 81% des répondants prévoyaient développer de nouveaux marchés ou de nouveaux clients en 2023.
De plus, 73% envisageaient de réaliser des investissements en équipements, et 58% de développer de nouveaux produits.
On apprenait aussi que plus de la moitié des entreprises du secteur de la transformation de l’aluminium sont exportatrices, une contribution notoire à la richesse collective du Québec.
Si on veut en rajouter, 59% des entreprises répondantes ont pris des engagements pour réduire leur empreinte environnementale au cours des trois dernières années.
Ces statistiques démontrent bien la vigueur, le grand potentiel et l’ambition de l’industrie.
De plus, les secteurs du matériel de transport (automobiles, véhicules spéciaux, aéronautique...) sont en quête de matériaux plus légers et aérodynamiques tel que l’aluminium.
La demande est également en croissance pour les bâtiments, les infrastructures et ouvrages d’art. De plus notre aluminium produit au Québec est vert foncé et se trouve à portée de main dans la mesure où on peut développer une masse critique pour les alumineries.
Mais qu’est-ce qui fait qu’on semble ne pas être en mesure de générer le même engouement qu’avec la filière batterie, un secteur nouveau, qui est sans surprise risqué et exigeant d’importants capitaux?
Cette filière porteuse, avec raison, attire une grande part de l’attention gouvernementale présentement.
I have a dream…
Rêvons un peu.
Et si la transformation de l’aluminium devenait également une très grande priorité gouvernementale, et que l’on développait des projets phares et structurants pour l’industrie, comme s’outiller pour mieux réussir en deuxième transformation avec de grandes presses, sans parler du fort potentiel de la troisième transformation?
De plus, n’oublions pas que les transformateurs québécois d’aluminium contribuent déjà à l’essor de la filière batterie.
Cela exigerait aussi des partenariats avec de grands joueurs mondiaux qui pourraient s’installer au Québec, ainsi que des investissements dans les entreprises d’ici qui exportent déjà et servent les donneurs d’ordre parmi les plus exigeants sur la planète.
Un tel projet solliciterait encore davantage le leadership de la grappe AluQuébec et un alignement des efforts de l’écosystème de l’aluminium dans une grande mobilisation.
Le « Saint Graal » serait des pièces et des composantes de différentes tailles transformées à partir d’un aluminium zéro GES, pouvant s’insérer naturellement dans une économie circulaire à l’enseigne de la tracabilité.
N’est-ce pas aussi un rêve magnifique? Avec l’aluminium transformé, on a toutes les raisons de rêver grand.
Cela exigerait un effort collectif et cohésif afin d’accroître l’utilisation de l’aluminium par les prescripteurs, à commencer par nos gouvernements.
Afin de développer le plein potentiel de l’industrie, il faudra insuffler une véritable culture de l’aluminium afin d’accroître l’utilisation du métal blanc.
Il faudra éduquer les prescripteurs et les générations futures aux vertus du matériau et systématiser la connaissance de l’aluminium dans les parcours académiques. Pour ce faire, il sera aussi nécessaire de lutter contre les idées reçues et les faux préjugés.
Cela passera aussi par la stimulation de l’innovation, l’intégration de l’aluminium dans les grands projets gouvernementaux ainsi que par le développement de nouvelles règles d’approvisionnement en faveur de l’aluminium.
L’État québécois doit montrer l’exemple
L’État devra plus que jamais faire preuve d’exemplarité en favorisant l’intégration systématique de l’aluminium vert recyclable dans les projets financés par les fonds publics.
On recherche depuis quelques années comment rattraper l’Ontario et assurer une prospérité durable pour le Québec. L’engouement pour la filière batterie en est un bon exemple.
Outre le rôle important de nos transformateurs d’aluminium dans le projet de batteries, le potentiel important de l’aluminium transformé doit avancer plus vite et devenir bien davantage une priorité du gouvernement du Québec.
Le roman de Paolo Coelho « L’alchimiste » illustre bien le paradoxe de l’aluminium québécois. Comme quoi on peut chercher un trésor toute notre vie à travers toutes les contrées quand, tout ce temps, le trésor était dans notre cour.
Or, pour découvrir notre trésor collectif, la condition essentielle sera de sortir enfin notre carte maitresse afin de remporter la partie.