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Nous entendons souvent dire que la vente d'un titre s'avère nettement plus complexe que son achat. On sous-entend donc que définir si un titre devrait être acheté ou non constitue un exercice plus aisé que de déterminer le moment pour le vendre.
Un lecteur nous a récemment écrit à ce sujet. Il posa quelques questions en ces termes :
""Bonjour, je me pose une question concernant le MOS. Le titre d’Aecom est évalué à 32$. Cet été, on pouvait l’acheter 16$. Selon votre texte, on avait une marge de sécurité sur cet investissement. Donc selon l’analyse que l’on en faisait, on pouvait acheter ce titre avec peu de risque.
Mon questionnement est sur la suite des choses. Le prix de vente considéré est de 40$. Est-ce que vous encaissez le 100% de profits à 32$ (ce qui est un bon coup) ou est-ce que vous attendez que le titre continue sa monté pour obtenir un meilleur rendement?
La vente est toujours compliquée. Est-ce possible d'avoir votre avis?"
Tout d'abord, nous n'émettrons pas une opinion spécifique sur le titre d'Aecom. Les gens qui nous suivent depuis un certain temps connaissent notre penchant pour les bilans peu endettés ainsi que notre discipline sur le prix payé. Nous les laissons en juger par eux-mêmes.
Le questionnement repose sur un prix de vente visé, que nous considérerons comme étant la valeur intrinsèque estimée du lecteur. Ce dernier se demande s'il doit empocher son profit de 100% afin de préserver son gain, ou s'il doit plutôt conserver le titre qui n'aurait pas encore atteint son plein potentiel selon son estimé.
Dans le questionnement, on reconnaît le piège de l'ancrage. Le dilemme comprend un élément du passé qui ne devrait être nullement considéré pour la prise de décision. Le fait d'avoir acquis le titre à 16$, ou 10$, ou à 35$ ne change rien à la performance future du titre. Imaginez trois individus, affichant tous un comportement différent. Notre premier individu, le lecteur, se questionne à 32$, car il a acquis le titre à 16$. Le deuxième individu a quant à lui déjà vendu le titre à 30$. Il souhaitait protéger son gain de 200% (évidemment, le titre n'a pas atteint le prix de 10$, mais nous voulons simplement illustrer l'influence du passé sur le comportement d'un investisseur). Le troisième individu choisit plutôt de conserver le titre, afin d'éviter une perte. S'il vendait maintenant, son investissement résulterait en un échec, puisqu'il perdrait 3$ par action.
Ce genre de réflexe s'avère fort répandu parmi les investisseurs. Pourtant, l'essentiel repose dans la valeur future du titre. Le point d'ancrage devrait toujours correspondre à la valeur estimée visée, et non au prix payé. Si le titre vaut 40$, on doit comparer 32$ avec 40$, et non 16$ avec 32$.
On doit garder à l'esprit que la valeur estimée change fréquemment. Les sociétés annoncent à tous les trois mois, et on doit donc refaire ses calculs. On procèdera également à l'analyse de toute nouvelle information publiée entre les trimestres. Finalement, étudier davantage l'entreprise permettra d'apporter des corrections à notre estimé. Avec le temps, on connaît mieux nos entreprises, et on arrive à évaluer avec plus de justesse la valeur intrinsèque.
Une fois le problème de l'ancrage surmonté, comment déterminer le moment de la vente?
L'exemple de notre lecteur correspond à un rendement potentiel de 25% (8$ sur 32$). Il doit donc évaluer l'importance de ce rendement par rapport aux risques de pertes. Ce genre d'analyse requiert beaucoup d'expérience. À force d'étudier des entreprises, la qualité de l'évaluation s'améliorera. Il ne faut donc pas se décourager en cas d'erreurs. Elles permettent d'apprendre d'importantes leçons.
Afin de s'assurer que conserver un tel titre constitue une décision judicieuse pour notre portefeuille, on doit se poser la question à savoir si l'allocation du capital est maximisée. Par exemple, si l'on déniche une idée dont le rendement potentiel s'élève à 50%, avec un risque similaire, le changement de titre s'impose. Dans le cas contraire, lorsque les idées de titres se font rares, il devient logique de conserver des titres au potentiel moindre. Sans idées de remplacements, la seule alternative devient l'encaisse. Autrement dit, lorsque les idées abondent, nous avons tendance à vendre nos titres à un prix plus éloigné de leur valeur intrinsèque, puisque nous bénéficions d'alternatives plus alléchantes. Dans le cas contraire, nous aurons le réflexe de les conserver jusqu'à un prix qui se rapproche de la valeur estimée.
Dans d'autres cas, si l'on souhaite consacrer moins de temps à la recherche de titres, on peut s'en tenir à la conservation d'un titre sur une très longue période de temps. Ainsi, le but visé consiste à calquer le rendement de l'entreprise, plutôt que de chercher à profiter de la sous-évaluation temporaire du titre. Dans ce cas, même si le titre atteint la valeur estimée, on le gardera puisque l'on s'attend à ce que la société continue d'engendrer de bons profits, année après année. La vente surviendra donc seulement si le titre devient nettement trop cher, ou si la société subit des changements négatifs affectant ses profits futurs (compétition accrue, accroissement de l'endettement, décisions stupides de la part des dirigeants, etc).
Au sujet des auteurs du blogue : Patrick Thénière et Rémy Morel sont propriétaires de Barrage investissement privé, une firme montréalaise de gestion d'actifs. www.barragecapital.com