BLOGUE INVITÉ. La situation énergétique mondiale a radicalement changé depuis la 26e conférence des Nations unies de novembre dernier sur les changements climatiques. Plusieurs pays de l'Union européenne qui dépendaient de la Russie pour répondre à leurs besoins énergétiques ont cherché à couper les liens avec Moscou en représailles à l'invasion de l'Ukraine.
Alors que l'Europe tente de trouver des alternatives énergétiques dont l’adoption serait rapide et abordable, les restrictions imposées sur les importations russes ont suscité des inquiétudes quant à la sécurité énergétique mondiale et à la transition vers les énergies renouvelables.
Les groupes environnementaux en Ukraine ont recensé au moins 514 cas d'impacts environnementaux potentiels sur leur territoire causés par les forces russes, allant des dommages aux installations industrielles jusqu’aux impacts sur les écosystèmes. Deux fuites de gazoducs russes à destination de l'Europe ont été découvertes, et les pays se tournent vers le gaz non russe et rouvrent des centrales électriques au charbon, alors qu'ils s'étaient engagés à accélérer la fin des combustibles fossiles lors de la COP26.
Aux États-Unis, certains gouvernements d’États envisagent même de subventionner l'essence en réponse à la flambée des prix du gaz et du pétrole. Tout semble indiquer que, dans les efforts déployés pour éviter une pénurie de combustible, la lutte contre le changement climatique ne figure plus sur la liste des priorités.
Selon le chef de bureau européen du Globe and Mail et journaliste réputé, Eric Reguly, la guerre énergétique pourrait nuire à l’objectif de la Commission européenne de devenir climatiquement neutre d'ici 2050.
«Cette crise en Europe a révélé les carences en énergies renouvelables», observe-t-il. Il n'y en avait tout simplement pas assez pour compenser le manque de gaz lorsque Vladimir Poutine a fermé les valves.»
Eric Reguly est l'un des rares correspondants étrangers dans le monde du journalisme. Actuellement basé à Rome, en Italie, il a fait des reportages principalement sur les affaires, l'économie, la finance, l'environnement et la guerre.
«La crise financière de 2009 - pour laquelle j'étais ici - était très, très grave, mais celle-ci est différente, dit-il. Elle est plus étendue. Il ne s'agit pas seulement d'une crise bancaire. Ce n'est pas une crise de la dette. Elle touche chaque consommateur, chaque famille et chaque entreprise.»
Pour l'Union européenne, le gaz naturel américain, qu’il soit comprimé (GNC) ou liquéfié (GNL), s'est avéré être la solution la plus simple et la plus économique - le véritable «gagnant de cette guerre de l’énergie», selon le journaliste.
À l'approche de l'hiver sans gaz russe, l'économie européenne devrait importer près de 40 % de GNL de plus, alors que les factures de chauffage devraient doubler par rapport à l'année dernière.
En raison de la tendance croissante des entreprises à prendre des engagements environnementaux, sociaux et de gouvernance, les prix de l'énergie ont commencé à augmenter bien avant la guerre, indique Eric Reguly.
Ironiquement, la diminution des réserves d’énergie qui résulte de l’invasion russe démontre que la transition vers le recours exclusif à l'énergie verte pourrait prendre plus de temps que prévu, d’après lui.
«Peu de gens réalisent qu’il y a 20 ans, [l’énergie verte] s'est développée plus rapidement qu'aujourd'hui, dit-il. Vous lisez la presse, vous lisez le battage médiatique, vous allez aux conférences de la COP sur le changement climatique, et on vous dit que l'énergie renouvelable va sauver la situation. Cette crise a vraiment montré, pour moi en tout cas, que l'énergie verte n'est tout simplement pas encore au rendez-vous.»
Cependant, le contraire est aussi jugé vrai malgré les revers de la crise. La flambée des prix du pétrole et du gaz pourrait avoir un effet similaire à celui d'une taxe sur le carbone et renforcer le besoin d’innovation verte et son déploiement commercial, conduisant à une plus grande action climatique à long terme.
Ce qui est sûr, c'est que les coûts énergétiques resteront élevés pendant un certain temps. Nous devons espérer et pousser nos gouvernements à s'en tenir finalement aux politiques climatiques et à accélérer la voie vers un avenir plus vert et plus équitable pour tous.
Karl Moore et Stéphanie Ricci. Karl est professeur associé à la Faculté de gestion Desautels de l'Université McGill. Stéphanie est diplômée en journalisme et en sociologie de l'Université Concordia.