BLOGUE INVITÉ. Avant que l'entrepreneuriat social ne devienne un courant dominant, l'avocat Fabrice Vil a fait un acte de foi pour aider davantage de jeunes à développer leur potentiel. Après deux ans de réflexion, il a décidé de quitter son emploi dans l'un des plus grands cabinets d'avocats du Québec pour se concentrer sur la croissance de Pour 3 Points, l'organisation à but non lucratif qu'il avait fondée.
L'organisme, dont le nom fait écho à une expression tirée du basketball «y aller pour 3 points», soit de parvenir à rentrer dans le panier une balle lancée de loin, transforme des entraîneurs sportifs en formateurs de développement de compétences pour soutenir la réussite des jeunes de quartiers défavorisés.
«C’est une référence au fait de ne pas se contenter du statu quo, mais d'aller vers ce qui est le mieux pour les jeunes, la société et l'humanité», affirme Fabrice Vil, fondateur de Pour 3 Points.
Dès son plus jeune âge, il a été témoin d'inégalités structurelles. Le Montréalais d'origine haïtienne a grandi dans un quartier à faible revenu du nord-est de la ville, tout en fréquentant une école dans un quartier de classe moyenne supérieure, ce qui lui a permis d'observer les disparités sociales entre les deux quartiers.
«Enfant, je me demandais pourquoi la société était construite de cette façon», se souvient-il.
Il a lui-même pu ressentir le puissant effet du mentorat dans la vie d'un jeune athlète en jouant au basketball à l’école secondaire. Ses entraîneurs lui ont notamment enseigné de précieuses compétences de vie, allant de la discipline au travail d'équipe en passant par la capacité à faire face à l'adversité.
«Il devint évident pour moi qu’une plateforme devait être mise en place dans le but de soutenir les jeunes dans le domaine du sport, dit-il. J’ai décidé de faire le lien entre ma compréhension du sport et le potentiel du coaching tout en utilisant ce dernier en tant qu’instrument pour une société plus juste et équitable.»
Aujourd'hui, plus de 300 entraîneurs dans 17 disciplines différentes ont suivi le programme de développement du leadership de l’OBNL, ce qui a eu un impact sur près de 3 000 enfants tout en formant une nouvelle génération de futurs entraîneurs, selon Fabrice Vil.
L'année dernière, l'organisme s'est même associé au CF Montréal, l’équipe professionnelle de soccer de la métropole, afin de renforcer son engagement dans la communauté et accroître son impact social.
Un leadership inspiré des entraîneurs sportifs
La philosophie selon laquelle les entraîneurs sont des instruments pour soutenir la personne dans son autonomie est au cœur de l’organisme. Fabrice Vil estime que l'art du leadership en matière de coaching sportif comporte cinq éléments qui peuvent s’appliquer dans le milieu professionnel :
1) Les dirigeants doivent être conscients de leurs biais pour éviter d'imposer à tout prix leurs points de vue aux autres.
2) Ils doivent écouter pour poser des questions puis comprendre, au lieu d’écouter pour confirmer leurs points de vue.
3) Être bon dans son métier est aussi important que la conscience de soi et d'excellentes compétences interpersonnelles. Ils ne peuvent pas diriger efficacement sans bien maîtriser leur secteur d'activité.
4) Les dirigeants doivent comprendre l'environnement. Par exemple, l'encadrement dans le contexte d'une école privée n'est pas le même dans une école en milieu rural ou défavorisé. Il en va de même pour la façon dont le leadership peut être différent dans une start-up et une entreprise établie.
5) Les leaders les plus accomplis évitent d’ajouter uniquement sur les épaules de leurs équipes le fardeau de la réussite. Après tout, les facteurs externes peuvent aussi jouer sur les résultats obtenus. «Concentrez-vous sur ce que vous pouvez contrôler. C'est la seule chose que les coachs peuvent amener une équipe à faire», remarque Fabrice Vil.
Vers une plus grande portée
«Je suis arrivé à un point où la gestion des opérations quotidiennes n'est pas l'endroit où je peux offrir le maximum, estime le fondateur de Pour 3 Points. Il s'agit désormais davantage de soutenir la culture, mais aussi de contribuer à la promotion de l'organisation, de traiter avec les partenaires et d'établir la stratégie à long terme.»
Celui qui rédige aussi des chroniques pour des journaux francophones entame l'écriture de son premier bouquin.
«C'est un livre composé de multiples nouvelles qui soutiennent l'idée que nous ne sommes ni bons ni mauvais, mais tous humains. Accuser une personne d’être mauvaise est circonstanciel et beaucoup plus complexe.»
Karl Moore et Stéphanie Ricci. Karl est professeur agrégé dans la Faculté de gestion Desautels de l’Université McGill. Stéphanie est diplômée en journalisme et sociologie de l'Université Concordia.