BLOGUE INVITÉ. Le continent africain est de loin le moins frappé par les contaminations de COVID-19 (environ 5% des cas mondiaux), mais celui dont la relance sera la plus lente (3,4% cette année contre 6% pour l’économie mondiale, selon le FMI). Pourquoi? De quoi dépend la relance des économies africaines? Zakaria Sorgho, chercheur associé au Centre d’études pluridisciplinaires sur le commerce et les investissements internationaux (CEPCI) de l’Université Laval, répond à ces questions.
Jean-Frédéric Légaré-Tremblay — Comment expliquer ce paradoxe en apparence injuste pour l’Afrique, entre un faible impact sanitaire et un fort impact économique?
Zakaria Sorgho — Selon les données de Johns Hopkins University, l’Afrique compte à ce jour environ 4,5 millions d’infections à la COVID-19 et un peu plus de 120 000 décès pour une population totale de 1,3 milliard. En comparaison avec le reste du monde, les pays africains sont en général les moins frappés par les contaminations, mais ne peuvent, en effet, compter sur des prévisions de relance rapide.
Une des explications est structurelle. Il s’agit de problèmes récurrents, tels que le manque de main-d’œuvre qualifiée, la corruption et un difficile accès aux financements des opérateurs économiques, qui réduisent considérablement la capacité des pays africains à tirer pleinement profit de la mondialisation.
La seconde explication est conjoncturelle. Pendant la première vague, la plupart des pays d’Afrique ont mis en place des mesures barrières, isolant les régions rurales des grandes villes, ce qui a entraîné une rupture de la chaîne d’approvisionnement. Plusieurs secteurs de leur économie, surtout informels, en ont souffert.
Malheureusement, les pays africains n’ont pas les moyens financiers suffisants pour se permettre de généreux plans de relance économique comme ceux des pays du Nord. Ils doivent attendre la reprise mondiale pour espérer bénéficier des retombées par le truchement de flux d’investissements directs étrangers (IDE) ou de la demande pour les matières premières, dont plusieurs pays africains recèlent.
J.-L.F.-T. — Il y a aujourd’hui de fortes disparités de croissance (et de récession) entre les pays africains. On parle d’une Afrique à deux vitesses. Quels sont ces groupes de pays et qu’est-ce qui les différencie fondamentalement?
Z.S. — Puisque la reprise économique en Afrique dépendra principalement de la relance au niveau mondial, le continent profitera des plans de relance colossaux déployés dans les pays du Nord qui contribueront à terme à la reprise de la consommation mondiale. Cette dernière devrait faire croître les besoins en pétrole et en minerais, favorisant ainsi en premier lieu les pays africains exportateurs de ces produits. Ces pays devraient aussi profiter d’une reprise progressive des flux des investissements étrangers directs.
Quant aux pays exportateurs de produits agricoles, ils connaîtront une reprise au gré de la demande mondiale en matières premières de ce type. Cependant, il y aura des disparités liées à leur niveau d’intégration aux chaînes de valeur mondiales. Certains y sont plus intégrés que d’autres. C’est le cas par exemple de l’Afrique du Sud, du Nigéria et de l’île Maurice, contrairement aux pays les moins avancés (PMA) tels que le Burkina Faso, le Mali et Madagascar.
J.-L.F.-T. — Quels secteurs d’activité sont les plus susceptibles de relancer les économies africaines?
Z.S. — Pointer un ou plusieurs secteurs d’activité serait hasardeux. Cependant, à la lumière des conclusions d’une étude de la Commission économique pour l’Afrique (CEA) rendue publique le 20 mars dernier lors de la Conférence annuelle des ministres africains des Finances, de la Planification et du Développement économique de la CEA, on peut avancer que le numérique a le potentiel d’être un puissant vecteur de l’économie africaine. Le commerce électronique et numérique peut donc servir de moteur à la relance économique sur le continent.
Avec une population jeune — 50% des Africains ont moins de 35 ans — et un actif de 500 millions de comptes de Mobil Money, le commerce numérique en Afrique pourrait générer 500 milliards de dollars américains d’ici 2030, selon cette étude.
La numérisation en Afrique a connu une croissance sans précédent ces dernières années. En 2019, un des auteurs de l’étude de la CEA indiquait que quelque 290 millions d’Africains sont désormais connectés à l’Internet, et que plus de 30% des adultes dans des pays comme l’Afrique du Sud, le Nigéria, l’Égypte et le Kenya possèdent un téléphone portable connecté. Le secteur a aussi attiré des investissements étrangers totalisant, au moment de l’étude, 1,4 milliard de dollars américains en capital-risque. Des opérateurs économiques du secteur informel acceptent de plus en plus des paiements par le biais de Mobil Money.
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Zakaria Sorgho sera l’un des conférenciers du Forum St-Laurent sur la sécurité internationale, qui se tiendra en ligne du 3 au 7 mai prochain. http://fsl.quebec/fsl-2021