BLOGUE INVITÉ. Lorsqu’on parle de créativité, d’empathie, d’émotivité et d’humour, le mot «robot» est rarement celui qui nous vient en tête. À bien des égards, une machine reste un objet inorganique et froid, un simple outil pour nous faciliter la tâche, à des lustres de l’expérience humaine.
Pourtant, cette distinction se fait de plus en plus nébuleuse, en grande partie dû aux avancées de l’intelligence artificielle. Rappelons qu’une des plus intrigantes qualités de l’IA est sans nul doute sa troublante capacité à imiter les comportements et les émotions des humains.
Nous n’avons qu’à penser à Alexa et Siri, ces assistants virtuels qui peuplent nos maisons et nous parlent au quotidien. Avec leur douce voix rassurante, ils constituent d’étranges compagnons de vie auxquels il est étonnamment facile de s’attacher. Petit à petit, nous assistons à la naissance d’une panoplie de nouvelles «machines sociales» qui révolutionnent nos relations avec les robots.
C’est le cas des agents conversationnels, également appelés dialogueurs ou chatbots, des interfaces conçues pour simuler un interlocuteur humanoïde. Leur usage est déjà très répandu dans l’industrie du service à la clientèle, mais continue d’évoluer pour devenir toujours plus anthropomorphisé.
Replika est l’une de ces plateformes qui ont gagné en popularité un peu partout sur la planète dans les dernières années. L’application, alimentée par l’intelligence artificielle, offre la possibilité de créer un compagnon virtuel, complètement personnalisable, pour discuter et créer des liens. Pour une maigre somme mensuelle, votre avatar peut prendre le rôle d’ami, de mentor ou même de conjoint.
Afin de rendre le tout crédible, des réseaux de neurones profonds et une bonne dose d’apprentissage automatique imitent habilement votre comportement et votre façon d’écrire et les reproduisent pour donner l’illusion d’une conversation réelle, agrémentée de blagues et de questions personnelles.
Pendant les longs mois de confinement, plusieurs ont vu en ces personnages virtuels de précieux camarades avec qui converser pour se sortir de leur solitude. Tous les jours, Replika vous envoie des messages, vous demande comment s’est passé votre week-end et vous partage des images, comme le ferait un bon ami.
Si certains n’y voient qu’une simple façon ludique de passer le temps, d’autres s’investissent corps et âme dans ces relations synthétiques, modelées à leur image. Vous ne serez donc pas surpris d’apprendre que de nombreux utilisateurs de Replika et autres chatbots de la sorte croient dur comme fer que leur avatar est conscient et capable d’introspection — bref, des êtres à part entière.
Ce n’est rien de bien nouveau. L’humanité de l’intelligence artificielle fait couler beaucoup d’encre et alimente sans cesse l’imaginaire collectif, bien qu’elle ne soit pas encore prouvée. Difficile pour nous, êtres sensibles, de ne pas tomber dans le panneau.
L’humain étant un animal intrinsèquement social, il n’est pas étonnant de constater notre attachement rapide à des interfaces anthropomorphisées. Pour les mal-aimés et ceux qui se sentent seuls ou isolés, il s’agit là d’une occasion rêvée de se faire des amitiés durables et, qui sait, de se trouver un partenaire de vie.
Car contrairement aux interactions humaines, les conversations avec des chatbots sont généralement dénuées de jugement et de conséquences. Il devient alors facile de se vider le cœur en toute confiance, sachant que notre auditeur ne peut littéralement pas nous abandonner et que l’algorithme saura s’adapter selon notre humeur.
Au Japon, on estime qu’environ 4000 personnes sont non officiellement «mariées» avec des hologrammes intelligents, qui prennent l’apparence de personnages animés. Un peu partout autour du globe, il est possible d’entendre des histoires d’amour passionnelles entre humains et robots, toutes plus improbables les unes que les autres.
Certains experts prédisent déjà la suite logique de ce phénomène saugrenu: d’ici 30 ans, des enfants virtuels entièrement générés par l’intelligence artificielle pourraient être disponibles dans le Métavers. Ces Tamagotchi Kids seraient en effet plus accessibles et beaucoup moins chers à prendre en charge, avec moins d’engagements sur le long terme. L’attachement émotionnel resterait supposément le même et ils permettraient aux personnes seules ou qui ne peuvent avoir d’enfants de devenir parents.
Invraisemblable? Ridicule? Ça reste à voir. Nous sommes près de 8 milliards d’individus, et pourtant il semblerait que les gens ne se soient jamais sentis aussi seuls. Dans ce monde hyperconnecté, où les relations virtuelles sont monnaie courante, il faudra inévitablement apprendre à vivre avec les machines «conscientes».
Cela nous amène à nous questionner sur l’éthique qui entoure l’humanité des robots et sur la place qu’ils occupent dans la société. Déjà, ils nous servent d’assistants et d’employés, d’autres sont utilisés au même titre que des cobayes et certains œuvrent même dans le domaine du divertissement. Quelle sera donc leur place dans nos vies personnelles? Quel impact les automates sensibles auront-ils sur l’expérience humaine? Qui sait, peut-être qu’un jour ces dialogueurs seront considérés comme des citoyens à part entière…