EXPERTE INVITÉE. «Oui, mais il est comme ça.»
J’en ai assez d’entendre cette excuse! Si je me fie aux discussions que j’ai eues avec des collègues enquêteurs en milieu de travail et médiateurs en ce début d’année qui commence en lion, c’est partout pareil.
Le nombre de dossiers de plainte en matière de harcèlement explose. La complexité des cas grimpe en flèche. La détresse des personnes visées est bien présente. Et le plus triste dans tout ça? L’inaction de nos organisations et dirigeants encore trop souvent démontrée!
Voulez-vous bien me dire pourquoi nous excusons encore l’inexcusable en nous servant les éternels «oui, mais il est de même» ou «tout le monde le sait qu’il est de même»? Assez! Prenons nos responsabilités comme employeur et comme société.
Si vous avez suivi l’actualité des dernières semaines, vous avez remarqué que l’Ordre des conseillers en ressources humaines agréés a publié les résultats de deux sondages dont les chiffres sont accablants .
Selon une première étude menée du 20 au 24 décembre 2023 auprès de 1000 travailleuses et travailleurs du Québec, nous apprenons que 11% des personnes sondées ont «été personnellement victimes de harcèlement en contexte de travail au cours de la dernière année».
Une part importante (30%) n’a d’ailleurs aucune idée si leur organisation respecte la loi en adoptant une politique pour prévenir le harcèlement ou pour traiter les plaintes. Et même s’ils souhaitaient dénoncer un harceleur, 26% des personnes interrogées ne savent pas vers qui se tourner dans l’entreprise.
Encore faut-il que l’employeur prenne la plainte au sérieux : près d’un employé sur cinq interrogé ne croit pas que ce serait le cas.
Un sondage complémentaire, mené du 11 au 23 janvier 2024 auprès de plus de 600 conseillers en ressources humaines agréés (CRHA) et conseillers en relation de travail agréés (CRIA) qui œuvrent en entreprise révèle que 63 % des professionnels ont eu au cours de la dernière année au moins un signalement ou une plainte en matière de harcèlement (fondée ou non) au sein de leur organisation.
Je seconde sans réserve les propos de la directrice générale de l’Ordre des CRHA, Manon Poirier dans un papier de La Presse:
«Il n’est plus possible de se mettre la tête dans le sable. Les données démontrent qu’en dépit de la prévention faite au sein des organisations, le harcèlement psychologique est d’une telle ampleur qu’on doit véritablement parler d’un enjeu de santé publique. Comme société, il faut en prendre acte et se donner les moyens d’agir plus vigoureusement.»
D'après moi, prendre acte et se donner les moyens d’agir plus vigoureusement débute au cœur même de nos milieux de travail :
• en adoptant des politiques claires et fermes
• en adoptant un processus de signalement simple et connu des travailleurs
• en traitant sans délai les signalements et les plaintes
• en formant nos gens pour intervenir et traiter adéquatement ces situations
• et en sévissant fermement lorsqu’il est démontré qu’un travailleur a été victime de harcèlement.
Personne n’oserait excuser un agresseur dans une affaire de violence conjugale sous prétexte qu’«il est comme ça». Dans ce cas, pourquoi excuse-t-on si facilement le harcèlement en milieu de travail? Pourquoi minimiser la situation? Pourquoi balayer sous le tapis un signalement ou exiger pratiquement une preuve hors de tout doute de la victime pour justifier une intervention?
J’en perds mon latin dans certains dossiers tellement la preuve est sans équivoque concernant les gestes et paroles reprochés, mais où l’inaction la plus totale a régné au sein de l’organisation pendant de très longues périodes.
Jouer à l’autruche n’est plus une option! Fini la tolérance et les excuses bidons. Le bien-être de tous doit être au cœur de nos décisions et de nos actions. Faites-vous pousser une cape de courage une bonne fois pour toutes!