«Between hype and hope». Le futur de la blockchain se situe quelque part entre l’espoir et le tam-tam des médias. La réflexion n’est pas de moi mais de la MIT Technology Review. C’est le raccourci qu’elle a pris pour illustrer la couverture de son édition de mai.
Tout le monde en parle naturellement de cette fameuse chaîne, avec une expertise ou un enthousiasme à géométrie variable. Le pouvoir conféré à ce protocole informatique oscille entre inutilité et miracle. Certains visionnaires lui prêteraient presque la capacité de venir à bout du cancer, d’éradiquer l’extrême pauvreté, de coloniser Mars en un jour…
D’apparence plus concrète, de grands effets d’annonce se succèdent chaque jour et esquissent l’avènement d’une nouvelle réalité technologique. Des géants automobiles BMW, Ford et GM s’unissant sous la bannière Mobi (Mobility Open Blockchain Initiative), pour améliorer les transports, au mastodonte Amazon qui permet désormais de créer des réseaux à l'aide de modèles open source d’Ethereum.
En passant par la Russie qui, frustrée par l’hégémonie des Yankees sur le net, a donné pour mission à ses espions de «mettre la main sur la blockchain».
Bref, la révolte informatique gronde mais peine à éclater.
Car cela fait maintenant près de 30 ans que le concept de chaîne de blocs est apparu dans les petits papiers des scientifiques.
En 1990(!), deux cryptographes américains expliquaient déjà comment horodater un document numérique (time-stamping), en maintenant son caractère privé et sans nécessiter de service d’archivage.
Le syndrome du cordonnier
L’adoption de la chaîne de blocs doit dès lors souffrir d’un maillon faible. Et le coupable semble tout désigné à en croire le sondage récemment partagé par Gartner: le CIO (chief information officer) ou plus communément appelé le directeur informatique.
La firme de consultance a sondé près de 3200 responsables évoluant dans les principales industries et gérant des dépenses en TI de 277 milliards de dollars.
Si l’écrasante majorité (95%) s’accorde à dire que la numérisation transforme en profondeur leurs mandats, les chefs de l’informatique affichent une insensibilité aiguë aux charmes de la blockchain.
Seul un CIO sur 100 s’est déjà investi dans des applications blockchain pour son entreprise tandis que seulement 8% d’entre eux l’expérimentent ou comptent le faire dans un futur proche.
«Se précipiter dans les déploiements pourrait confronter les entreprises à des problèmes importants d'innovation ratée, d'investissement gaspillé, de décisions imprudentes et même de rejet d'une technologie révolutionnaire», tempère David Furlonger, vice-président de Gartner.
Une précaution mise en pratique par 77% des CIO interrogés qui ont déclaré que leur organisation ne s'intéressait pas à ladite technologie ou, tout en la sachant sur le radar, ne prévoyait ni de l'étudier ni de la développer.
Bouleversement culturel
En revanche, les quelques 293 directeurs informatiques planchant sur des initiatives blockchain mesurent dès à présent toute la réorganisation que cela impose.
La chaîne de blocs exige en effet les compétences les plus récentes dans le secteur techno et soulève un singulier problème de force de travail, selon 23% des répondants.
Ce virage cryptographique demande d’ailleurs le plus grand changement dans la culture du département informatique, certains responsables estimant même que la structure du service devrait être modifiée en fonction.
« Le défi ne consiste pas seulement à trouver et retenir des ingénieurs qualifiés »
«Le défi ne consiste pas seulement à trouver et retenir des ingénieurs qualifiés, mais à en trouver suffisamment pour assurer la croissance des ressources à mesure que les applications de la chaîne de blocs se développent», précise David Furlonger.
Ce dernier évoque aussi une certaine méfiance des ingénieurs face à ce domaine technologique historiquement libertaire où se retrouvent fréquemment des développeurs anticonformistes.
Sans oublier que la blockchain exige un nouveau cadre de connaissances, de pratiques et une révision des fondamentaux de la société. Et ce à tous les niveaux, qu’ils soient légaux, commerciaux, de sécurité ou encore de gouvernance.
Quand on pense que des entreprises parviennent laborieusement à trouver leur équilibre dans l'univers du commerce ligne et des réseaux sociaux, l’intégration de la blockchain risque de les occuper et les préoccuper longuement. Au point de devoir encore réinventer leur modèle d’affaires.