ZOOM SUR LE MONDE. Les Québécois et les Européens vivent-ils sur la même planète? Alors que le Québec discute de la multiplication de projets pour produire plus d’énergie, l’Europe se creuse les méninges pour ne pas en manquer cet hiver. Rarement un contraste n’aura été si frappant entre gloutonnerie et sobriété énergétique.
Explosion des coûts de l’énergie, pénurie de gaz naturel, réduction de la production, voire carrément la fermeture d’usines… Les entreprises manufacturières en Europe sont confrontées à une crise énergétique très grave.
Et détrompez-vous si vous pensez que cette crise ne concerne que les Européens. Les entreprises québécoises peuvent aussi pâtir des contrecoups si elles ont des sites de production en Europe ou si elles y ont des fournisseurs stratégiques pour leurs usines au Québec.
Trois chocs à l’origine de la crise
Selon trois économistes de l’Institut Bruegel (un centre de réflexion spécialisé en économie à Bruxelles), trois chocs simultanés ont poussé l’Union européenne (UE) «vers la pire crise énergétique qu’elle n’ait jamais connue», affirment-ils dans une tribune publiée dans le quotidien français «Le Monde». Le premier choc est une séquelle de la pandémie de COVID-19. Au plus fort de la crise sanitaire, en 2020-2021, les investissements dans la production de pétrole et de gaz naturel ont chuté. Cette situation a entraîné un grand déséquilibre entre l’offre et la demande d’énergie.
Le deuxième choc est l’invasion de l’Ukraine, le 24 février. Depuis l’été 2021, la Russie avait commencé à manipuler les marchés gaziers européens, en diminuant ses exportations et en ne remplissant pas les sites de stockage de Gazprom dans l’UE. Puis, fin août, la Russie a complètement suspendu ses livraisons en Europe. Le troisième choc est une combinaison de coïncidences qui ont perturbé un marché déjà sous tension. En France, des problèmes de corrosion ont forcé la fermeture de la moitié des réacteurs nucléaires. À l’échelle européenne, une grave sécheresse a réduit de manière radicale le niveau des rivières et des lacs, affectant la production d’hydroélectricité et les centrales thermiques — elles ont besoin d’eau pour se refroidir ou dépendent des voies navigables pour s’approvisionner en charbon.
Des conséquences impensables au Québec
Les conséquences de la crise en Europe sont majeures pour des multinationales bien connues.
Au début du mois de septembre, ArcelorMittal, l’un des plus importants producteurs d’acier au monde (qui a des activités au Québec), a annoncé qu’il allait mettre à l’arrêt deux de ses hauts fourneaux en Allemagne et en Espagne. Le sidérurgiste justifie cette décision en raison de l’explosion des prix de l’énergie et de la diminution de la demande.
En France, les entreprises vivent dans l’incertitude en ce qui concerne leurs approvisionnements futurs en énergie.
À la fin août, le ministre de l’Économie, Bruno Le Maire, a sommé les sociétés à fournir des efforts pour réduire leur consommation d’énergie. Si elles n’y arrivent pas, le gouvernement envisage de les rationner si l’hiver était «particulièrement difficile». Cette mise en garde survient alors que la production industrielle française s’est contractée de 1,6 % en juillet en raison de la crise de l’énergie, selon l’Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE).
La situation n’est guère mieux au Royaume-Uni. Déjà aux prises avec des factures d’énergie très salées, des entreprises énergivores se sont fait dire qu’elles pourraient devoir cesser leur production dans les prochains mois, rapporte le quotidien britannique The Guardian. Selon le «pire scénario raisonnable»du gouvernement, le Royaume-Uni pourrait même pâtir de coupures de courant pendant plusieurs jours en janvier si jamais il faisait très froid et que le gaz naturel se faisait très rare.
Imaginez:un pays développé qui peut manquer d’électricité pendant quelques jours… Pendant ce temps, au Québec, les entreprises et les consommateurs ne surveillent guère leur consommation d’énergie.
Certes, notre géographie et nos immenses richesses naturelles — à commencer par l’hydroélectricité — font en sorte que nous vivons dans une sorte de bulle à l’abri des crises mondiales, à commencer par celle de l’énergie.
Mais faisons attention pour ne pas devenir complaisant, voire insouciant.
Le Québec est-il vraiment à l’abri? Dans un contexte de changement climatique, des hivers et des étés successifs avec moins de neige et de pluie affecteraient certainement Hydro-Québec et l’offre d’électricité.
D’autres crises potentielles en gestation sont peut-être sous notre écran radar. Qui avait prévu la pandémie de COVID-19 et l’invasion de l’Ukraine, suivies par la fin des exportations de gaz russe en Europe ? Aussi, même si nous avons relativement beaucoup d’énergie au Québec, la modération aurait sans doute meilleur goût. En plus de renforcer la résilience de notre économie.