BLOGUE INVITÉ. La sortie du capitalisme représente la principale clé pour lutter contre la crise environnementale et amorcer une transition vers une société démocratique permettant la satisfaction des besoins dans le respect des limites écologiques. C’est la thèse que défend l’ouvrage Pour une écologie du 99%: 20 mythes à déboulonner sur le capitalisme publié par Les Éditions Écosociété. Entrevue avec Frédéric Legault et Arnaud Theurillat-Cloutier, doctorants en sociologie et membres de la Chaire de recherche sur la transition écologique, sur ce «cours accéléré d’autodéfense sur l’économie du capitalisme et les stratégies politiques pour le dépasser» qu’ils ont rédigé avec Alain Savard.
Dans votre ouvrage, vous déboulonnez 20 mythes sur le capitalisme, dont la moitié articule une critique du système en place. Quelle est l’idée la plus urgente à déconstruire?
Frédéric Legault — La principale illusion qu’on essaie de déconstruire, c’est l’idée selon laquelle on serait capable de diminuer le poids écologique de l’économie, de l’activité humaine, à l’intérieur des dynamiques de croissance du capitalisme. Il est impossible de résoudre la crise environnementale en faisant fi de la dimension matérielle de la croissance. Pour citer Alf Hornborg, «toute production est une destruction». Pour tenir compte de cette réalité-là, il faut inévitablement déplacer le discours de la moralité de la consommation vers une moralité de la production. Il ne faut pas simplement consommer bien, il faut produire bien.
Arnaud Theurillat-Cloutier — Il n’y aura pas de transformation écologique véritable s’il n’y a pas une transformation structurelle: ce ne sont pas seulement quelques entreprises qui doivent changer. Le capitalisme est organisé de telle façon qu’il refuse systématiquement les limites sociales ou écologiques. Il faut redonner à l’économie sa place, qui devrait être celle de satisfaction des besoins, pas de création de profits infinie. Cette impossibilité de mettre en place des limites, par la structure antidémocratique de l’économie capitaliste, ça ne rend pas le système viable sur le long terme. On le voit aujourd’hui, on est dans une situation critique à cause de cette absence de limites, donc il faut trouver les moyens de s’autolimiter.
Frédéric Legault (Photo: courtoisie)
Votre proposition phare pour dépasser le capitalisme est la planification démocratique de l’économie. Comment une telle planification pourrait-elle se matérialiser et sur quel horizon temporel?
ATC — Les accords internationaux sur le climat sont déjà une forme de planification, en ce sens qu’ils tentent de contraindre le comportement environnemental des entreprises par une concertation politique internationale. D’une certaine manière, le politique tente de circonscrire l’économique à l’intérieur des limites planétaires, avec les problèmes démocratiques qu’on connait.
FL — Le principe de base de la planification est de redonner le pouvoir aux gens qui sont concernés par les décisions. En ce moment, ce pouvoir est concentré dans les mains de quelques acteurs. Il faut planifier la décroissance pour éviter que la diminution de la production des biens se traduise par une crise sociale. Si elle est planifiée simplement par le haut, par les grandes entreprises et les gouvernements — parce que l’économie capitaliste, elle est planifiée par ces entités —, évidemment ça va être les groupes sociaux les plus défavorisés qui vont écoper de cette réorganisation économique.
Il peut y avoir différentes étapes dans le temps pour démocratiser notre économie. Par exemple, pour contourner l’incitation à la croissance et à la concurrence, une étape serait de rendre illégale la propriété privée des moyens de production, c’est-à-dire de rendre illégale l’unité juridique de l’entreprise à but lucratif. L’IRIS a publié une note à ce sujet. Ce serait une nationalisation de l’économie entière. Une autre étape pourrait aussi consister à ajouter des instances ou, par exemple, à donner plus de dents à celles qui existent déjà, comme le Bureau d’audiences publiques sur l’environnement, auquel on pourrait donner un pouvoir coercitif.
Il est impossible de donner une date de sortie du capitalisme pour plusieurs raisons. Dans un premier temps, il ne faut pas sous-estimer les capacités du capital avec un grand C à se restructurer face aux crises, comme on l’a vu après 2008. Dans un deuxième temps, on a des adversaires puissants devant nous, comme les industries fossiles, dont les intérêts vont à l’encontre de la transition. Ainsi, la question à savoir dans combien de temps on va être capable de mettre en place un autre modèle économique revient à se demander combien de temps il faut pour se débarrasser de l’industrie fossile. Il faut dire aussi que la planification se pense difficilement à l’échelle d’un seul pays, étant donné la dimension imbriquée des économies.
Arnaud Theurillat-Cloutier (Photo: courtoisie)
Vous soulignez que les transformations de l’économie peuvent s’inspirer de principes à la base de modèles existants, comme celui des coopératives. En quoi ce modèle est-il inspirant et comment le rendre au service de la transition socioécologique?
FL — Il faut le penser à l’échelle nationale. Il faut que la coopérative soit la principale structure organisationnelle pour les entreprises sur le territoire québécois et idéalement, plus largement. Ça pourrait être des coops au sens strict: pas de patron, juste des employés qui gèrent l’entreprise. Ça pourrait aussi prendre la forme de coop de solidarité avec des membres de la communauté ou provenant d’autres entreprises pour siéger aux conseils de direction. Ainsi, on viendrait limiter la dimension concurrentielle de l’économie, l’incitation à la croissance et la maximisation du profit parce qu’il n’y aurait plus d’incitatifs individuels à maximiser ces profits.