ANALYSE. Après un gain de 12,5 % pour le S&P 500 américain, de 15 % pour le S&P/TSX et de 11 % pour l’indice MSCI Tous les pays (MSCI All Countries), personne ne serait surpris de voir une pause en Bourse ou même un mouvement de repli.
La masse monétaire progresse toujours, mais décélère après une opération sans précédent d’injection de liquidités qui a duré 14 mois, signalent plusieurs experts. Les indicateurs d’activité manufacturière, les fameux PMI, atteindront probablement cet été le pic pour le cycle actuel, croit Martin Roberge de Canaccord Genuity. Liz Ann Sonders, de Charles Schwab, entrevoit le même phénomène pour les profits du S&P 500.
Cette combinaison de facteurs est historiquement propice à des corrections.
«Les marchés deviennent plus nerveux à partir de ce point, mais ce sont souvent des corrections temporaires, car le cycle économique est à mi-chemin», explique le stratège quantitatif de Canaccord Genuity. Depuis 2010, chaque sommet dans le bilan de la Réserve fédérale américaine (Fed) coïncide avec un mouvement de repli. «En 2010 et 2011, les reculs boursiers ont dépassé 10 % en raison des perturbations entourant le Grexit et la crise des dettes souveraines en Europe. En 2014, aucun catalyseur clair n’avait précédé le recul de 10 % sinon que 1 000 séances s’étaient écoulées sans correction. En 2018, le spectre d’un resserrement monétaire avait fait grimper l’indicateur de volatilité», rappelle Martin Roberge. «Un choc des taux pourrait servir d’élément déclencheur cette fois-ci. Une chute de plus de 10 % n’est pas exclue étant donné le positionnement encore spéculatif des investisseurs actifs dans le marché des contrats à terme», dit-il. Le baromètre de la peur, ou le VIX, se situe à 16 points. Il est aussi un peu trop calme au goût de certains.
Son collègue de Canaccord Genuity, Tony Dwyer, signale que la Bourse américaine s’essouffle depuis six semaines. Différents segments vivent des corrections en cascade. C’est signe que les énormes liquidités fournies par les banques centrales et les gouvernements se déplacent des marchés financiers à l’économie réelle.
Si le stratège américain est content de voir certains excès spéculatifs des marchés s’estomper un peu, il croit qu’il serait sain que le leadership cyclique du marché connaisse aussi une pause ou un repli pour que la Bourse reprenne ensuite son parcours haussier.
Le portrait se complique par le débat sur l’inflation qui influe sur la trajectoire des taux. De grands bonzes tels que l’économiste de renom Larry Summers croient que l’ampleur inégalée des mesures budgétaires américaines de 2020, à la hauteur de 22% de l’économie, réveillera l’inflation que la Fed devra mater en relevant ses taux plus tôt qu’elle ne le prévoit.
Un groupe de prévisionnistes dirigé par l’Université de Pennsylvanie, baptisé les superforecasters pour leur minage de multiples données, donnent raison au duo de Janet Yellen au Trésor américain et de Jerome Powell à la Fed. Ils accordent une probabilité de 42 % à un scénario où l’inflation dépasserait 3 % en 2021 et retomberait ensuite sous 2 % en 2022. À ce moment-là, plusieurs mesures de soutien auront expiré tandis qu’une grande partie de l’effet du rebond sera passé.
Pas de stratégie unique
Les stratèges ne s’entendent pas sur la stratégie à adopter. Pour profiter de la mondialisation de la reprise, Martin Roberge continue à préférer la Bourse canadienne et celles des pays émergents au marché américain.
À la Banque Scotia, l’analyste Hugo Ste-Marie croit que la Bourse de Toronto a beaucoup à donner après des années de retard sur la Bourse américaine.
L’indice S&P/TSX a procuré un rendement inférieur à celui du S&P 500 lors de neuf des dix dernières années, ajusté pour la devise. La dernière fois que l’écart de performance a été aussi grand, en 1998, la Bourse de Toronto avait entamé une période de rattrapage qui s’est étalée sur 10 ans.
Déjà, depuis le début de l’année, le rendement de 15 % du S&P/TSX est plus du double de celui du S&P 500, mesuré en dollars canadiens.
Par contre, Stéfane Marion, de la Financière Banque Nationale, se tient prêt à alléger la répartition plus élevée qu’il accorde à la Bourse canadienne lorsque le huard s’approchera de sa cible de 0,85 $US. L’économiste voit le S&P/TSX s’apprécier d’encore de 3 %, jusqu’à 12 600, à la fin de 2021. Le S&P 500 frôle déjà sa cible de 4 300.
Les marchés de l’Europe gagnent aussi des adeptes qui veulent bénéficier de sa reprise décalée. Après tout, l’indice MSCI Europe est seulement 11 % plus élevé que le sommet atteint au premier trimestre de 2018 tandis que le S&P 500 a avancé de 47% depuis. Nicholas Colas, fondateur de DataTrek, prévient toutefois que les actions européennes ne sont pas aussi bon marché que le laisse croire leur ratio cours/bénéfice de 17 fois par rapport à celui de 21 fois pour le S&P 500.
L’écart provient surtout du fait que la Bourse de la zone euro compte bien peu de titans mondiaux de la technologie, qui bénéficient d’une évaluation plus élevée en raison de leurs forts avantages structurels.
C’est dire à quel point l’arrêt économique de la pandémie, les mesures de soutien et la reprise en V brouillent les repères habituels.
Dans ces circonstances, la meilleure marche à suivre consiste généralement à éviter les grands paris et à se constituer des munitions pour sauter sur les occasions qui se présenteront.