Il y a quelque temps, alors que je partageais un agréable repas avec une amie et partenaire d'affaires dans un restaurant montréalais, j'ai eu l'occasion d'observer à la table voisine un homme d'une quarantaine d'années accompagné d'une ado qui semblait visiblement être sa fille. L'homme était très attentionné et il émanait beaucoup de tendresse et une grande complicité de ce charmant tête-à-tête. Ayant reconnu la «dragonne», l'homme vint me saluer et me dire un mot gentil juste avant de quitter le restaurant. Lors de notre bref échange, il me présenta avec beaucoup de fierté sa fille. Il était papa monoparental.
Dans quelques jours, avec la rentrée scolaire de nos petites têtes blondes, bon nombre de médias s'empareront du sujet pour évoquer la dure réalité d'une bonne conciliation travail-famille et de tous les efforts que devront déployer les mamans tout au long de l'année. Lever aux aurores, préparation des lunchs, ménage, transport, garderie, travail, et j'en passe... Moi-même maman de quatre enfants qui vivent à leur tour ces mêmes problèmes, je ne peux que saluer le courage de toutes ces femmes, en déplorant cependant que les hommes qui vivent aussi ces délices de la vie quotidienne soient parfois laissés pour compte, pour ne pas dire ignorés !
Loin de moi l'idée de vouloir comparer les difficultés rencontrées par les femmes et les hommes monoparentaux. Elles sont exactement les mêmes, mais probablement vécues très différemment par ces messieurs.
Un phénomène encore trop méconnu
Si nous associons presque naturellement la monoparentalité avec la situation d'une mère vivant seule avec ses enfants, le nombre de familles monoparentales dirigées par des hommes est en constante progression au Québec. Après avoir fait un bond impressionnant de 49 % entre les années 1991 et 2001, cette situation ne cesse de se développer et c'est aujourd'hui le cas de plus d'un foyer à parent unique sur cinq. Un phénomène qui reste malheureusement très peu connu du public.
Alors que les femmes revendiquent très justement l'égalité avec les hommes en termes d'emploi, de conditions de travail, d'avancement et de salaire, très paradoxalement de plus en plus d'hommes sollicitent tout simplement la reconnaissance de leur statut de papa, tant dans leur vie privée que dans leurs activités professionnelles.
Les études sur le sujet montrent que les pères monoparentaux ont généralement eu une scolarité plus poussée que les mères qui sont dans la même situation. Leur formation leur permet d'être davantage présents sur le marché du travail, et même si les postes qu'ils occupent ne sont pas toujours à la hauteur de leurs ambitions, cette situation socio-économique un peu plus privilégiée leur permet d'avoir plus facilement accès à certains services pour alléger leurs tâches quotidiennes. Cependant, les mêmes recherches tendent à confirmer un degré de détresse psychologique plus élevé chez les hommes que chez les femmes en situation de monoparentalité, en particulier dans un environnement professionnel pas toujours favorable.
Pour l'avoir moi-même constaté au sein de mon entreprise, c'est toujours avec une certaine «gêne» que les hommes abordent toute modification de leur emploi du temps professionnel pour raisons familiales. Ils éprouvent plus de difficultés que les mamans monoparentales à justifier auprès de leur employeur une absence occasionnée par la maladie d'un enfant, un problème de garde ou toute autre contrainte familiale.
Le milieu du travail considère malheureusement encore trop souvent que ce type de responsabilité relève davantage des mères, ignorant même dans certains cas le rôle du père dans la cellule familiale, surtout si celle-ci est de structure monoparentale.
Une réalité avec laquelle les dirigeants doivent composer
Façonnée par une culture méditerranéenne qui voue un culte à la famille et qui positionne la mère au rang de quasi-divinité, il m'a fallu, en tant que chef d'entreprise, composer avec cette nouvelle réalité en étant peut-être un peu plus à l'écoute de certains de mes collaborateurs qui, tentant de concilier au mieux travail et famille, faisaient leur possible pour être les meilleurs papas du monde !
Acceptant volontiers un départ hâtif pour un problème de garderie ou une absence en raison d'un enfant malade, je tente dans la mesure du possible de tenir compte de leurs contraintes familiales pour aménager au mieux emploi du temps, déplacements et heures de réunion. Pas toujours évident, mais force est de constater que ces hommes redoublent d'efforts pour être à la hauteur des missions que je leur confie. Peut-être pour s'excuser des inconvénients professionnels provoqués par une situation qu'ils tentent toujours de minimiser avec beaucoup de pudeur, mais probablement plus pour me remercier à leur manière de l'importance que j'accorde à leur statut de papa... comme je le fais pour les mamans !
Certes, les services offerts aux familles monoparentales portent leurs fruits, mais ils sont encore très orientés vers les mères. Il est tout de même rassurant d'observer, depuis quelques années, une lente mais constante évolution des services destinés aux pères. Il semble que cette nouvelle réalité soit davantage prise en compte dans une société qui prend conscience que la monoparentalité ne doit plus être considérée comme une exclusivité féminine. Le développement de programmes spécifiquement destinés aux hommes est une nécessité et il reste encore beaucoup de travail à faire dans ce domaine, relativement aux différents organismes bien sûr, mais aussi auprès des pères qui, peut-être par fierté ou tout simplement par gêne, hésitent encore trop souvent à solliciter de l'aide.
La pudeur de ces hommes, souvent aux prises avec des séparations difficiles, des problèmes de garde d'enfant ou, pire encore, confrontés au grand vide laissé par le décès d'une conjointe, me touche énormément et je ne peux qu'inciter les patrons, les dirigeants et les cadres à intégrer cette réalité dans l'organisation quotidienne de la vie de leur entreprise, d'autant qu'elle sera de plus en plus présente. Consciente qu'ils déploient déjà beaucoup d'efforts pour corriger certaines inégalités professionnelles entre hommes et femmes, je suis persuadée qu'ils sont aussi capables d'écouter leur coeur et qu'ils prêteront probablement un peu plus d'attention à certaines demandes de collaborateurs monoparentaux qui, outre leur réussite professionnelle, veulent aussi et surtout être de bons papas.
Si j'ai essentiellement consacré ces quelques lignes aux papas parce que leur situation est encore trop souvent ignorée, je n'en reste pas moins admirative face au courage et à la persévérance de mamans pour qui chaque jour est un véritable combat.
Bonne rentrée à tous les papas et à toutes les mamans... et aux autres aussi.