On ne tarit pas d’éloges pour Annie: «charmante», «chaleureuse», «conviviale». Conviviale? Elle n’est pas aubergiste, mais tout comme. Elle accueille les gens avec des bonbons et elle est toujours disponible pour ses clients en cas de besoin. Annie n’a pas le choix si elle veut se démarquer.
Elle et des centaines de ses concurrents louent des appartements comme des chambres d’hôtel dans le même immeuble du centre-ville de Montréal. Plus de 300 annonces d’appartements en location de courte durée, dont celui d’Annie, apparaissent à l’écran lorsqu’on tape «Tour des Canadiens» dans le moteur de recherche d’Airbnb.
Suivez-moi sur Twitter / Pour lire mes autres billets
Les touristes sont gâtés! On trouve en ce moment des logements flambants neufs dans un gratte-ciel de prestige planté au beau milieu du centre-ville pour si peu que 100 $ la nuit. Les hôteliers peuvent bien râler. Cuisine, Wi-Fi, télé, panorama à couper le souffle, station de métro au sous-sol, piscine sur le toit, salle d’entraînement… sans compter les effeuilleuses, où l’on peut se rendre en pantoufles. Le bar Chez Parée est à un jet de pierre. Et pour trouver du chick-a-boum, la rue Crescent n’est pas bien loin.
Alors il ne faut pas s’étonner que parfois, le touriste rentre éméché et marque son chemin jusqu'à sa chambre d’une trainée de vomissure. Et il se peut que sa trace passe devant la porte d’un propriétaire occupant, au 42e étage. Oui, il y a des gens qui habitent à l’année la Tour des Canadiens. Combien? Cent? Deux cents? Allez savoir, mais je parierais qu'ils sont en minorité. À regarder les stocks sur Airbnb, plus de la moitié des quelque 535 condos de la tour sont en location court terme.
Ceux qui y habitent, eh bien ils ont parfois l’impression de vivre dans un hôtel. Ce doit être amusant un moment, sauf qu’on s’en lasse rapidement, quand ça court et quand ça crie dans les couloirs. Et lorsqu'on réalise que n’importe qui ou presque peut entrer dans la tour, il y a de quoi s’inquiéter.
Radio-Canada rapportait la semaine dernière que certains propriétaires occupants regrettaient leur achat. Je les comprends. Avoir de nouveaux voisins chaque week-end, dont des fêtards à casquette qui ne sont jamais sortis d’Ontario jusque-là, ça me ferait regretter mon achat d’un demi-million de dollars moi aussi.
Mais de là à les plaindre?
Ils auraient dû le savoir au moment d’acheter. Le droit de faire de la location de courte durée est inscrit noir sur blanc sur la convention de copropriétés. Et c’était tout aussi clairement indiqué dans la note d’information lors de la prévente. Les promoteurs sont obligés de fournir cette information.
On s’en doute, ce «détail» n’était certainement pas le point central de son pitch quand un représentant réalisait faire affaire avec un éventuel occupant. La piscine, la terrasse, le gym, la vue, l’emplacement ont dû monopoliser l'argumentaire. Cela dit, quand on s’apprête à sortir un demi-million de dollars de ses poches pour un condo, ce n’est pas une mauvaise idée de pousser sa curiosité au-delà des boniments du vendeur.
Quant aux investisseurs, ce qu’ils veulent entendre, c’est justement qu’ils peuvent louer leur copropriété à leur guise. On voudrait bien les rendre responsables des inconvénients vécus par les occupants, mais sans ces investisseurs, il n’y aurait sans doute pas eu une seule grande tour de copropriétés au centre-ville de Montréal. Ils sont le moteur de ce marché.
Lorsqu’il est question d’investisseurs, on pense spontanément aux Chinois. Il y en a, mais la plupart sont des «Annie» qui veulent tirer des revenus de location avec deux-trois condos et une poignée de touristes.
Si vous faites partie des malheureux qui regrettent leur décision, vous avez peu d’options sinon de vendre. Vous avez peu de chances de faire modifier la convention de copropriété en votre faveur.
À moins de rallier une majorité écrasante de copropriétaires (90%), il est impossible de changer ce qu’on appelle la «destination» de l’immeuble. Par là, on parle entre autres du droit accordé aux propriétaires de louer leur appartement sur de courtes durées. Cette décision revient au départ au promoteur du projet. Une bonne partie de son plan d’affaires repose là-dessus (pour ce genre d'immeuble).
Les investisseurs sont-ils gagnants pour autant? Je ne suis pas certain qu’ils font leurs frais. Les prix de location m’apparaissent bien faibles au moment même où une nouvelle vague de condos s’apprête à déferler sur le marché.
Il n’y a pas d’argent facile. Cela explique sans doute pourquoi Annie traite les touristes aux petits oignons.
En fait, les vrais gagnants dans cette affaire sont les promoteurs.
Et Airbnb, qui profite d’un parc de location foisonnant et tout neuf. Sans mettre une cenne!
Suivez-moi sur Twitter / Pour lire mes autres billets