Il y a des gens qui ont un talent pour trouver une fonction à un objet pour laquelle il n’a pas été conçu. Comme tant d’autres, je suis totalement dépourvu de cet instinct inventif et pratique qui habite certains bricoleurs, chefs scouts et autres magiciens des affaires domestiques.
C'est pourquoi je suis toujours fasciné de voir ce qu’arrivent à réaliser certaines personnes avec des trombones, des boîtes d’oeufs et du bicarbonate de soude.
Le même genre de fascination m’a effleuré à la lecture du courriel du lecteur David. Le jeune père de famille se demande si le régime enregistré d’épargne-études (REEE), avec un peu de bidouillage, ne pourrait pas être un bon complément au REER et au CELI pour assurer sa retraite.
Farfelu? Pas tant que ça. C’est vrai que la solution peut sembler aussi raffinée qu’un disque vinyle qu’on aurait converti en bol à chips à l’aide d’un chalumeau, mais ça peut fonctionner.
Voici ce qu’écrit, en gros, David:
Disons que mon REER et mon CELI sont remplis et que je souhaite laisser mon capital à l’intérieur du REEE une fois que mon enfant a retiré ses PAE et qu’il a terminé ses études, que se passe-t-il avec les rendements qui s’accumulent par la suite à l’abri de l’impôt. Est-ce une bonne idée de laisser mon capital fructifier jusqu’à la fin du REEE?
Il faut savoir qu’un REEE n’est pas éternel. Il s’agit en quelque sorte d'une fiducie qui se dissout au bout de 35 ans (40 ans dans le cas d’un REEE familial). Personne n’en a encore fait l’expérience, le REEE tel qu’on le connaît existe depuis moins longtemps que ça.
À la dissolution du REEE, le souscripteur (généralement le parent) devra récupérer ses cotisations. Si des rendements n’ont pas été versés aux enfants par l’intermédiaire de paiements d’aide aux études (les fameux PAE), ils reviendront au souscripteur sous forme de paiements de revenus accumulés (ou PRA).
Les PRA sont imposés au taux marginal entre les mains du souscripteur, auquel s’ajoute un prélèvement de 20%. Un parent dont les derniers dollars de revenus seraient imposés à 48% se verrait donc retrancher 68% des rendements accumulés jusque-là à l’abri de l’impôt à l’intérieur du REEE.
Si c'était la seule possibilité, laisser le capital croître dans le REEE ne serait d'aucune utilité, au contraire, la facture fiscale briserait à elle seule l'attrait pour ce type d'opération. Il serait plus judicieux pour les parents de retirer le capital du REEE aussi tôt que possible, c’est-à-dire au moment où l’enfant touche ses premiers PAE, et de faire fructifier cette somme dans un compte d'investissements non enregistré, en supposant que leur REER et leur CELI soient déjà remplis.
Ma chronique se terminerait ici et vous pourriez aller lire celle du collègue Olivier.
Mais attendez, moi aussi j’ai une passe géniale à vous montrer…
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Évitez l’impôt sur les rendements du REEE
Ce qui rend intéressant le problème posé par notre lecteur est que le souscripteur a la possibilité de rouler le fruit du REEE vers son REER. Par «rouler», on veut dire transférer les rendements accumulés d’un compte vers l’autre sans incidence fiscale. Les gains générés par le REEE se retrouveraient intacts dans le REER du parent.
Cela nécessite une certaine planification. À trois ou quatre années de la date de péremption du REEE, notre lecteur David devrait donc prendre une pause dans ses contributions REER afin d’y laisser de l’espace pour accueillir l’argent du REEE.
Théoriquement, la manoeuvre se tient, mais encore, est-ce la solution la plus rentable? J’ai posé la question à un vétéran de l’industrie, Gaétan Veillette, planificateur financier chez IG Gestion de patrimoine. Au bout du fil, sa voix laisse deviner une moue de dédain. Pour lui, la solution est inutilement compliquée pour des gains, au mieux, marginaux, et encore.
On doit comparer avec l’autre option qui consiste à retirer le capital du REEE dès que possible pour l’investir dans un compte non enregistré. Dans le REEE, dit le spécialiste, les sommes fructifient certes à l’abri de l’impôt, mais les rendements générés seront à la sortie imposables à 100%, comme s’il s’agissait d’un revenu d'emploi ou d'intérêt. On parle alors d'un «taux d'inclusion» de 100%.
Dans un compte non enregistré, rappelle le planificateur financier, une partie des rendements est constituée de gains en capital, dont seulement 50% sont imposables. Le taux d'inclusion est alors de 50%.
Le gain en capital (ou la perte) est la différence entre le prix d’achat et le prix de vente d'un bien, comme un chalet, une action d’entreprise ou une part de fonds de placement. À la sortie d'un REER ou d’un REEE, il n’y pas de distinction entre les sources de rendement, toutes étant ramenées sur le même pied, celui de revenu. Le gain en capital perd donc son avantage.
Pour ne pas vous perdre, si ce n'est déjà fait, voici une rapide illustration chiffrée: sur 200$ de gain en capital (taux d'inclusion de 50%), 100$ est imposable. Avec un taux d’imposition à 48%, le fisc viendrait collecter 48$ (48% de 100$). S’il s’agissait d'un revenu d’intérêt ou de travail, les 200$ seraient imposables (taux d'inclusion de 100%), ce qui coûterait 96$ au contribuable imposé au taux marginal de 48% (48% de 200$).
Pour la suite de la démonstration, je me suis tourné vers l'amical expert Daniel Laverdière. Le planificateur financier et actuaire, directeur principal chez Banque Nationale Gestion privée 1859, se montre toujours prêt à tester la validité d’une intuition avec l’implacable machine qu’est Excel.
Nous avons imaginé un scénario sur 25 ans (un chiffre rond) avec un capital de départ de 50 000$, le maximum que peut déposer un souscripteur dans le REEE d'un enfant, et ce, sur toute la durée du régime. Nous avons dans un premier temps établi un taux de rendement annuel de 4%, entièrement imposable, comme s’il s’agissait d’un revenu d’intérêt ou de travail. Dans le compte non enregistré, donc sans avantage fiscal, les revenus sont imposés annuellement au taux de 48%. Dans le REEE, le capital fructifie à l’abri de l’impôt durant 25 ans, les rendements n’étant imposés qu’à la fin, au moment du retrait, à 48%. Nous avons exclu toutes les particularités du REEE à part son avantage fiscal.
Les parents qui optent pour le REEE sortent gagnants. Après 25 ans, une fois payé l’impôt, ils disposent de plus de 93 000$. L’autre option, qui consiste à faire fructifier les 50 000$ dans un compte d'investissement non enregistré, leur aurait laissé 10 000$ de moins dans les poches.
Dans ce scénario, l’option REEE est supérieure à condition que les bénéfices soient roulés vers le REER de manière à éviter la ponction fiscale additionnelle de 20% prévue sur les PRA. À défaut de le faire, les parents se retrouveraient au bout du compte avec 76 600$ en raison de cet impôt supplémentaire.
Une autre des conditions pour que la solution impliquant le REEE demeure avantageuse repose sur le taux d’inclusion, qui doit être identique dans les deux options. Comme il est par défaut 100% avec le REEE, il doit l'être dans le compte non enregistré aussi. Cela survient lorsque les parents entretiennent une peur bleue de la Bourse et n’investissent que dans des titres à revenus fixes, donc procurant des intérêts, comme les certificats de dépôt et les obligations (oublions les dividendes des actions, merci).
Disons que notre lecteur, au contraire, n’investit que dans les actions qui génèrent des gains en capital. Dans un compte non enregistré, seulement la moitié du rendement de ses placements peut être considérée dans le calcul de sa facture d'impôt. Dans un REEE, il n'a pas d'impôt à payer chaque année sur les revenus générés par ses investissements, mais ses gains seront entièrement imposables à la sortie du REEE (ou du REER).
Il serait alors préférable pour David de vider le REEE au plus vite pour transférer tout son contenu vers un compte non enregistré. Avec un rendement de 4%, il disposerait ainsi, avec le capital et le rendement net d’impôt, de 105 700$ après 25 ans.
Un portefeuille équilibré qui fournirait un mélange de gains en capital et de revenus d’intérêt serait aussi plus profitable, mais de peu, dans un compte non enregistré que dans le REEE, mais ce ne serait pas son principal avantage: la solution excluant le REEE est toujours plus simple et plus flexible. Elle comporte aussi moins de risques d’erreur.
Soulignons enfin que dans le scénario le plus favorable au maintien du REEE, l'écart reste ténu; 10 000$ sur 25 ans, cela correspond à un gain de 400$ par année, une différence qui s'amenuise avec le temps sous l'effet de l'inflation.
Pour vous dire que détourner un objet de sa fonction ne débouche pas toujours sur des résultats concluants.
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Les éléments présentés ici sont d’ordre général. C’est le principe du «Courrier du portefeuille». Nos lecteurs sont invités à consulter un professionnel pour obtenir des conseils répondant à leur situation personnelle.
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