BLOGUE INVITÉ. «J’ai mis pas loin d’un million de dollars dans cette histoire-là, j’aimerais avoir ton opinion…», m’avait lancé cet investisseur sur un ton plutôt exaspéré avant de me présenter à son associé.
Après avoir échangé avec le jeune entrepreneur à la tête de la petite entreprise et visité ses installations de production, il était clair pour moi que cette start-up avait un potentiel extraordinaire.
Malgré le produit innovant et révolutionnaire, l’ange investisseur commençait tout de même à avoir hâte que la jeune entité cesse de téter ses généreuses mamelles auxquelles elle s’était solidement accrochée dès ses débuts. Il me proposa donc le mandat d’aider la jeune entreprise à identifier des opportunités d’affaires et à trouver des contrats qui contribueraient à son autonomie financière. L’aventure et le produit m’emballaient énormément et c’est avec un enthousiasme dédié que j’ai accepté son offre sur-le-champ.
Afin de valider le potentiel du produit et de ses marchés, j’avais initié très rapidement des rencontres avec des entrepreneurs à succès opérant dans des secteurs d’activités connexes. L’un d’entre eux avait des contacts de très haut niveau à l’international. «Anne, je vais t’aider à les aider. Et parce que je te connais, je vais leur ouvrir mon précieux réseau, ce que je ne fais habituellement jamais!» m’avait-il dit en sortant de la réunion.
La semaine suivante, le jeune entrepreneur s’envola pour les États-Unis rejoindre mon contact d’affaires qui lui avait organisé deux jours de rencontres pouvant générer d’importantes commandes stratégiques. L’aventure était très stimulante, même si je ne m’expliquais toujours pas certains comportements du jeune entrepreneur avec qui j’apprenais, tant bien que mal, à interagir.
Je me souviens de lui avoir demandé, alors qu'il revenait de ce voyage, de me fournir un compte-rendu de ses réunions. «C’est confidentiel», m’avait-il lancé, avant que je le ramène poliment à l’ordre. Mais, malgré certains malaises comme celui-ci, je continuais toujours à croire au potentiel de son produit.
Mon cellulaire était devenu un véritable porte-folio rempli d’images et mon sac à main débordait de prototypes. J’étais toujours prête à saisir n’importe quelle opportunité éventuelle. À un moment donné, lors d’un événement d’affaires, j’avais réussi à convaincre le président d’un réputé détaillant de nous présenter à son équipe de direction. La rencontre fut exceptionnelle! La start-up signa le plus gros contrat de son histoire et son produit serait désormais disponible partout au Québec. Cette première commande d’envergure, signée quatre mois après le début de mon mandat, m’amena directement au septième ciel!
Convaincue que ce contrat venait de confirmer les bases d’une relation gagnante, j’ai non seulement continué à faire du développement d’affaires dans mon réseau, mais j'ai aussi mis la main à la pâte pour le mandat en cours. Révision des clauses du contrat, suivis de production avec le client, négociations du plan de visibilité avec le détaillant, conception de maquettes de présentation du produit avec mon graphiste, entente avec des fournisseurs d’imprimerie pour l’emballage, etc.
En prime, j’avais même réussi à négocier un plan de visibilité pour le produit avec le détaillant. Pour sa part, la start-up considérait, malgré mes nombreuses recommandations, qu’aucun plan de commercialisation n’était nécessaire de leur côté. Le jeune entrepreneur croyait, dur comme fer, que son produit allait pratiquement se vendre tout seul, tellement il était nouveau et attrayant.
Une fois la commande en route vers le détaillant, l’ange investisseur, qui ne s’était pas vraiment impliqué dans l'entreprise pendant mon mandat, se présenta à l’improviste à mon bureau. Il insistait pour récupérer immédiatement la facture de mes honoraires. Puis, il est reparti aussi vite qu’il était arrivé.
Le lendemain matin, quelle ne fut pas ma surprise de découvrir que lui et son jeune poulain faisaient la une des journaux en y présentant fièrement le produit nouvellement en vente chez le détaillant. Personne ne m’avait mise au courant de la publication, même pas l’investisseur que j’avais pourtant vu pas plus tard que la veille...
Ce n’était qu’une aventure…
À la lecture des articles, il était évident qu’aucun des deux associés n’avait fait mention de ma contribution lors des entrevues avec les journalistes. Bien qu’ils étaient totalement en droit et en pouvoir de le faire, il était tout de même légitime pour moi d’espérer une certaine considération. Parce que si j’avais été à leur place, je n’aurais jamais fait ça. Mon père m’a toujours dit de faire aux autres ce que j’aimerais qu’on me fasse.
Avec le recul, est-ce que je regrette d’avoir réussi à leur faire décrocher la plus grosse commande de leur histoire? Pas du tout! Malgré ma déception, j’ai réalisé que cet important contrat n’avait finalement pas représenté le début d’une relation gagnante comme je l’imaginais. Ce fut plutôt une occasion pour moi de découvrir qu’il était évident qu’on ne partageait pas du tout les mêmes convictions et valeurs entrepreneuriales.
En affaires, personne n’est à l’abri d’un coup de foudre où l’attirance tient à un produit qu’on trouve sexy. En fin de compte, mon expérience n’a été rien d’autre qu'une aventure sans lendemain possible avec deux entrepreneurs. Et curieusement, un an plus tard, ça semble être la même conclusion pour le détaillant qui n’offre plus le produit de la start-up sur ses tablettes.
Le karma peut parfois nous attendre dans une tout autre dimension...