Notre salle d’attente débordait de jeunes entrepreneurs venus tenter leur chance aux auditions de VoirGRAND.tv, et ce n’est qu’après plusieurs heures que j’ai découvert deux intrus qui s’étaient faufilés dans le groupe afin de… recruter des clients.
Ils sollicitaient des mandats de consultation afin d’aider les jeunes entreprises à profiter, si elles étaient éligibles, de différents programmes de subventions. Je les ai interceptés. De très bons vendeurs. Moi aussi, d’ailleurs, puisque j’ai réussi à les convaincre que leur entreprise devienne l’un des commanditaires de la saison suivante de ma série. Ils ont dit oui, à condition que je les laisse poursuivre leur développement d’affaires parmi nos candidats. J’ai accepté.
Un an plus tard, j’avais en mains le contrat de commandite signé, tout était clair comme de l’eau de roche. Mon nouveau commanditaire avait aussi négocié une place de choix sur le jury des auditions. Une tribune médiatique qui lui donnait une visibilité enviable et le positionnait, en plus, aux premières loges pour entendre les histoires et les projets des jeunes entrepreneurs auditionnés. Tout allait comme sur des roulettes. Le paiement de la commandite devait entrer d’un jour à l’autre. Je n’étais pas inquiète, car je me disais que les gars étaient sérieux, d’autant plus que l’un d’eux allait avoir son visage à la télé.
Puis, la fin des auditions arriva. Comme convenu, j’avais payé l’hébergement, les repas et les déplacements de tous les membres du jury. Quant au chèque, il n’était toujours pas entré.
À la veille du tournage des émissions en studio, je me suis souvenue d’une phrase que l’entrepreneur beauceron Marc Dutil, de Canam, avait prononcée alors qu’il était invité sur mon plateau. « Si un de vos clients vous doit de l’argent, prenez le téléphone et collectez votre dû, c’est à vous, ça vous appartient », avait-il lancé à la caméra avec conviction. Ce que je fis. Le lendemain, les hommes d’affaires se présentèrent sur le plateau avec mon chèque. Alléluia !
Quelques jours plus tard, mon institution financière me retourna le fameux chèque. Mon client avait frauduleusement effectué un arrêt de paiement avant même que j’encaisse mon dû. Le tournage de la série était terminé. J’étais maintenant prisonnière des images tournées avec ce commanditaire. Il n’y avait pas d’issue possible, sauf espérer à nouveau mon paiement. Complètement ébranlée, j’avais tenté mille et une fois de rejoindre mon client. Pas de réponse. Aucun retour. Je dus finalement prendre les mesures nécessaires pour défendre mes droits. « Es-tu consciente que mes honoraires vont te coûter ce qu’on devrait récupérer et qu’en fin de compte, ta production ne recevra pas un seul sou... », m’avait lancé mon avocat. Réponse : « Je prône les valeurs entrepreneuriales, j’aime mieux que ça soit vous qui puissiez avoir cet argent plutôt que de leur laisser ! » avais-je décidé. Finalement, on gagna. Mais la rancœur et la déception ne m’avaient pas quittée pour autant.
Le salut n’est pas dans la fuite
On dit qu’il faut faire confiance à la vie. Que parfois, elle finit par faire son œuvre. Ce qui se produisit. « Bonjour Madame Marcotte, ici François Legault, j’aimerais vous parler... », me lança au téléphone, en 2013, celui qui deviendrait premier ministre. On discuta de politique et d’entrepreneuriat. Mais à la fin de la conversation, je pris soin de mentionner à M. Legault que parmi ses candidats, j’étais plutôt surprise d’y retrouver mon frauduleux commanditaire. Au bout du fil, j’entendis un silence. Puis, il me remercia de lui avoir transmis l’information et raccrocha.
Cette année, je n’ai pas revu le visage de mon client malhonnête sur les pancartes électorales de la CAQ. Peut-être que la vie a finalement redonné à César la salade qui lui revenait. Chose certaine, lorsqu’on fait quelque chose qui manque de droiture, il y a des chances que ça finisse, un jour ou l’autre, par nous rattraper. Aux mal intentionnés qui s’imaginent que leur salut est dans la fuite, souvenez-vous qu’en affaires ou en politique, la planète peut soudainement devenir une bien petite ville...