C’est exactement la phrase que j’ai dite au banquier au tout début de la création de Womance. «S’il y a quoi que ce soit, je vous donne la petite Raymonde, 52 ans, en santé, aucun antécédent de maladie, 5 pi 2, souriante et dynamique.»
Je n’aurais certes pas donné ma mère, mais c’est la seule chose qui me soit venue en tête lorsque le banquier m’a demandé mes actifs de valeur. En fait, je n’en avais aucun, mis à part ma famille qui vaut de l’or. De plus, je ne m’étais jamais vraiment préparée à me faire poser ce genre de question, puisque l’entrepreneuriat, le vrai, m’est tombé dessus du jour au lendemain.
Je t’explique. Womance est une boutique en ligne de vêtements venue d’une idée plutôt simple. Je commençais à susciter «plus d’engouement» sur les réseaux sociaux. De plus en plus de personnes me suivaient et une question revenait souvent: «Où as-tu pris tes vêtements?»
D'abord, il faut savoir que beaucoup de gens connus sur les réseaux sociaux gagnent leur vie en faisant la promotion de produits et de services sur leurs plateformes respectives. C’est une nouvelle manière de se faire connaître pour les entreprises, et pour ces personnes de travailler à leur compte.
On les appelle des blogueurs ou des influenceurs et oui, quoi que certains en disent, ce sont de vrais emplois. Avant, on achetait des magazines pour connaître les nouveaux produits de beauté ou les meilleures destinations vacances; aujourd'hui, on «suit» des blogueurs ou des influenceurs. Le marché a changé. De nouveaux acteurs ont fait leur entrée. C’est facile, gratuit et rapide. En plus, l’information vient directement à toi. Même pas besoin de chercher.
Bref, il y a 2 ou 3 ans, j'avais suffisamment d'abonnés pour influencer, moi aussi. Mais dans mon temps, jadis, quand je demandais à une entreprise si elle avait prévu de rémunérer mes publications publicitaires autrement qu'avec des vêtements, on me répondait souvent: «Évidemment non! Mais il nous fait plaisir de nous associer à toi. Cela sera bon pour toi»
Je ne veux pas paraître hautaine, mais ce qui est bon pour moi, c’est de me nourrir convenablement, et à grands coups de robes, ce n’est pas super bon pour la santé. Et l’idée de faire constamment de la publicité pour d’autres entreprises ne me plaisait pas. On ne se fera pas de cachettes ici, il y avait quelqu’un qui faisait de l’argent avec ça et ce n’était certainement pas moi. C’est là que l’idée de Womance est née. Porter des vêtements que j'ai choisis pour ensuite les vendre moi-même.
« Par contre, toutes les bonnes idées ne sont pas nécessairement réalisables, surtout quand on n'a que sa mère comme actif. »
J’ai commencé à travailler avec une personne qui devait devenir mon associé. Je parle au passé, puisque l’association ne s’est jamais produite. Investissement d’argent de son côté, création du site Web, liquidités pour l’achat des vêtements.
Mauvais feeling
La convention d’actionnaires allait être signée, mais le processus fut long, puisque nous avions de la difficulté à nous entendre sur certains points, qui peuvent sembler banals à la création d’une entreprise, mais qui sont essentiels avec le temps.
On néglige souvent cet élément au début, puisqu’on veut conserver le plus d’argent possible pour nourrir l’entreprise, mais le juridique, c’est la base d’une entreprise saine. Si tu es sur le point de te lancer en affaires, ne prends pas cette phrase à la légère. Applique-la.
La veille de la signature, j’ai eu un mauvais feeling. Juste un mauvais feeling, sans trop d’explication. Je suis entrée dans le bureau de mon avocat 10 minutes avant la période de signature et je lui ai dit: «Je ne signe pas. Je ne le feel pas.» Et lui de me répondre: «Tu feels pas? Tu es malade? Tu as la grippe?» (C’est ici que j’ai compris que l’homme et la femme ne sont vraiment pas faits pareils.)
Rien contre cette personne qui devait être mon coactionnaire, bien au contraire. J’ai simplement eu le feeling que je devais le faire seule. Avec mes idées, ma rigueur, ma vision et mes feelings.
J’ai emprunté 15000$ pour démarrer Womance dont les trois quarts ont servi à rembourser les investissements réalisés. Je suis arrivée à la banque sans savoir dans quel genre de rencontre que je m’embarquais, sans plan d’affaires, en expliquant au banquier que j’avais besoin de cet argent pour ouvrir une boutique en ligne de vêtements pour la femme au Québec, que le 15000 $ était pas mal déjà tout dépensé, que je n’avais aucune expérience dans le commerce de détail ni dans le commerce en ligne, et finalement que je n’ai pas de diplôme mis à part un DEC sans mention (ça, c’est quand tu poursuis des études collégiales sans les terminer, mais que tu as accumulé assez de crédits pour que le système te prend en pitié et t’octroie un diplôme) et un début de bac en communication et politique.
À la base, si tu vas te présenter à la banque avec un projet de vente de vêtements pour la femme, tu as déjà échoué. D'autant plus que sur le Web, au Québec, tu as échoué trois fois, fille. Les grandes entreprises de commerce de détail de ce monde déclaraient de plus en plus faillite, tandis que le commerce en ligne au Québec n’était quasiment pas exploité.
Mais je suis arrivée là sans me soucier de tout ce que je viens de vous énumérer.
Je suis arrivée avec la conviction que cette entreprise était faite pour fonctionner. Je suis arrivée sans égo ni orgueil, sans aucune pression de performance, mais bien avec la seule certitude que j’étais capable et personne ne connaît mieux que nous-mêmes notre capacité à accomplir. J’étais capable de créer cette entreprise, mais j’étais également capable de savoir que je pouvais me tromper.
C’est là que je me suis dit dans ma tête: «Au pire ça me coûtera une Hyundai Accent». C’est là que j'ai dit au banquier, question de rendre le tout encore plus loufoque: « Si jamais ça ne fonctionne pas, je vous donne la petite Raymonde en garantie, 52 ans, en santé, aucun antécédent de maladie, 5 pi 2, souriante et dynamique.»
Ben crois-moi, crois-moi pas. Il a souri et il a dit oui.