Olivier Germain, professeur au Département de management de l’École des sciences de la gestion de l’Université du Québec à Montréal (Photo: courtoisie)
MOIS DU GÉNIE. La boîte noire, cette représentation d’un système fermé dont on ignore tout du fonctionnement interne, n’effraie pas les ingénieurs. Au contraire: comprendre ce qui se situe en dessous du capot d’une technologie ou d’un projet complexe pour l’amener plus loin est ce qui fait d’eux de redoutables entrepreneurs, estiment 3155 des plus de 62 000 membres de l’Ordre des ingénieurs du Québec (OIQ) sondés l’automne dernier.
«Nous leur avons demandé: "Quel est votre principal acquis pour vous lancer en affaires ?" La structure de pensée, la capacité à résoudre des problèmes et l’expertise technique sont les réponses qui reviennent le plus souvent», explique Kathy Baig, présidente de l’OIQ. Les résultats complets de ce portrait de la contribution des ingénieurs-entrepreneurs à l’économie du Québec seront diffusés au printemps. Il a été réalisé de concert avec la firme Aviseo Conseil.
D’ici là, le Profil de l’ingénieur d’aujourd’hui et de demain, publié en 2021 par l’OIQ, nous apprend que quelque 22 % des ingénieurs québécois ont des volontés entrepreneuriales — 10 % sont déjà en affaires et 12 % souhaitent se lancer au cours de la prochaine décennie. Ce pourcentage est légèrement plus élevé que pour l’ensemble des adultes du Québec (20 %), lit-on dans le document. «C’est pour clarifier ces intentions que nous avons décidé de creuser le sujet, précise Kathy Baig. C’était dans les cartons depuis longtemps.»
Le mythe de l’entrepreneur solo
Cet engouement des ingénieurs pour l’entrepreneuriat trouve écho dans celui de la société québécoise pour l’innovation. Pour tirer son épingle du jeu dans l’écosystème des jeunes pousses, ces entreprises innovantes à fort caractère technologique, un esprit allumé est nécessaire. «Sans compétences techniques fortes, c’est presque impossible de démarrer une start-up de nos jours, constate Olivier Germain, professeur au Département de management de l’École des sciences de la gestion (ESG) de l’Université du Québec à Montréal (UQAM). C’est comme si le seuil d’entrée dans l’univers de l’entrepreneuriat avait augmenté.»
C’est d’ailleurs ce qui explique pourquoi les ingénieurs-entrepreneurs tendent à s’inscrire dans des équipes plutôt que de se lancer en solo, comme l’a fait Olivier Bourbonnais, cofondateur et directeur de la technologie de la jeune pousse montréalaise Ditch Labs. «On peut y voir une manière de pallier certaines carences, comme une difficulté manifeste à penser au débouché de l’innovation», analyse Olivier Germain. L’inverse est aussi vrai: les entrepreneurs versés en gestion — comme ceux qui possèdent une maîtrise en administration des affaires (MBA) — gagnent aussi au change. «Le risque est partagé sur plusieurs épaules, ce qui diminue le risque d’échouer.»
Des freins, où ça?
Dans son coup de sonde, l’OIQ a aussi interrogé ses membres à propos des obstacles à l’entrepreneuriat. Parmi les raisons fréquemment évoquées par les répondants figurent entre autres l’accès insuffisant aux capitaux de démarrage ainsi que le sentiment de ne pas être prêt. Deux excuses qui ne convainquent pas Olivier Germain. «Le capital de risque est plus que jamais disponible. Et les facultés de génie offrent de plus en plus de formations en entrepreneuriat entre leurs murs», insiste-t-il, citant à titre d’exemple le MBA Sciences et génie offert par l’ESG UQAM.
«Les ingénieurs sont bons pour apprendre à apprendre, y compris des fonctions de soutien en marketing, en ressources humaines ou autre. En fait, je ne pense que ce soit une question de connaissances, mais bien de conjonctures, de circonstances», nuance pour sa part Kathy Baig. Le sondage de l’OIQ révèle en effet que trois ingénieursentrepreneurs sur quatre se sont lancés en affaires entre l’âge de 30 et 40 ans. Seulement 1 sur 10 l’a fait à la fin de ses études, comme Martin Dufour, fondateur de la firme de génie-conseil Merkur, ou alors au crépuscule de sa carrière. «L’incertitude quant à son niveau de préparation semble se dissiper avec l’expérience.»