La finance décentralisée (DeFi) est un terme parapluie couvrant diverses solutions fintechs. (Photo: Mohammad Rahmani pour Unsplash)
LES CLÉS DE LA CRYPTO est une rubrique qui décode patiemment l’univers de la cryptomonnaie et ses secousses boursières, industrielles et médiatiques. François Remy se donne pour mission d’identifier les entrepreneurs prometteurs, de décoder les progrès techniques et d’anticiper les impacts industriel et sociétal de cette monnaie numérique.
La finance décentralisée (Decentralized finance, DeFi) constitue une expérience menée par des entrepreneurs et développeurs en quête d’un système financier alternatif. Reste à voir si la finance peut définitivement se passer des mécanismes traditionnels et de ses intermédiaires centralisés.
Pour l’expliquer simplement, «la DeFi vise à accomplir bon nombre des activités clés que l’on trouve dans la finance traditionnelle et qui possèdent un paradigme risque-récompense mais sans la superposition intrusive des institutions intermédiaires traditionnelles», comme le résume le docteur en économie et spécialiste en la matière Usman W. Chohan dans son analyse «Finance décentralisée: une architecture financière alternative émergente».
Un exemple puissant de cryptoanarchisme, poursuit l’auteur, tel qu’il se manifeste dans le contexte des cryptomonnaies. L’ambition reste en effet d’émanciper les individus en leur accordant le pouvoir de contrôler leur activité financière sans l’intervention du pouvoir étatique. Séduisante promesse que voilà pour ceux prédisposés à l’indépendance dans l’univers numérique.
Plus pragmatique qu’idéologique
Plus pragmatiquement, la DeFi reste un terme parapluie couvrant diverses solutions fintechs allant des protocoles informatiques financiers aux dérivés cryptos. Cette finance «en chaîne de bloc» promet globalement un accès moins cher et plus ouvert aux services bancaires, d’assurance, de prêts, etc.
Et ce, justement en réduisant les coûts et les risques liés à l'utilisation d'intermédiaires centralisés grâce aux technologies de la chaîne de bloc et à la cryptographie. Le phénomène promet donc une interopérabilité entre chaînes de blocs qui pourrait aider à éliminer les silos du secteur financier et à y promouvoir considérablement l'innovation.
Plus qu’une tendance, une vraisemblable marche forcée qui pousse de plus en plus d’acteurs classiques à se lancer dans l’univers crypto. Puisque même le bas de laine des Québécois, la Caisse de dépôt et placement (CDPQ), participe à hauteur de plusieurs millions de dollars à la ronde de financement d’une cryptobanque anglaise.
Les limites du progrès
L'industrie émergente de la DeFi constitue l'un des domaines les plus innovants, a reconnu le président du gendarme boursier américain, Gary Gensler, alors qu’il intervenait ce lundi à la conférence All Markets de Yahoo Finance. Si Satoshi Nakamoto, le créateur pseudonyme de Bitcoin, «mettait sous pression la définition de l'argent, […] la DeFi commence à exercer une pression sur d'autres innovations», a déclaré Gensler.
C’est que la DeFi n'est pas sans défis. Et ces derniers demeurent peu étudiés. Il est pourtant essentiel de comprendre conceptuellement les risques inhérents à la nature décentralisée des chaînes de bloc (risques opérationnels, vulnérabilités des contrats intelligents, risques de gouvernance, évolutivité, etc.).
«L’objectif d’automatiser la prestation de services financiers et de réduire les dépendances humaines a également pour effet congruent de réduire la surveillance et le contrôle », ont dernièrement épinglé les auteurs Nic Carter, capital-risqueur, et Linga Jeng, de l’Université de Georgetown dans leur article «Le paradoxe de la DeFi».
Et le paradoxe ne cesse lui aussi de gonfler lorsqu’on observe la «valeur totale verrouillée» (TVL) de ces protocoles DeFi, une métrique estimative qui fait référence aux cryptomonnaies et autres jetons numériques (tokens) contenus dans les plateformes de prêt ou de trading décentralisées. La capitalisation du marché DeFI a doublé depuis la fin du mois de juin et s’élève actuellement à quelque 247 milliards dollars américains, selon le site de surveillance Defi Llama.