Une consigne de 10 cents ou de 25 cents est prévue pour tous les contenants de boisson de 100 millilitres à 2 litres, qu’ils soient en plastique, en verre ou en métal. (Photo: 123RF)
INDUSTRIE DE L'EMBALLAGE. L’actuel chantier de modernisation de la collecte sélective proposé par le ministère de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques, qui doit être opérationnel d’ici 2025, constitue une bonne nouvelle pour les nombreux citoyens qui réclament la réduction des emballages à usage unique. Or, le projet suscite la grogne de plusieurs acteurs de l’industrie concernée, particulièrement depuis l’annonce de sa toute première mesure: la consigne élargie qui entrera en vigueur en décembre 2022.
Adoptée à l’unanimité par l’Assemblée nationale le 12 mars dernier, la Loi modifiant principalement la Loi sur la qualité de l’environnement en matière de consigne et de collecte sélective (projet de loi 65) prévoit ainsi une consigne de 10 cents ou de 25 cents pour tous les contenants de boisson de 100 millilitres à 2 litres, qu’ils soient en plastique, en verre ou en métal.
Cette consigne sera appliquée sur plus de quatre milliards de contenants, soit presque deux fois plus qu’actuellement, calcule Recyc-Québec. L’objectif du gouvernement est de faire grimper le taux de recyclage des contenants visés de 40% à 75% d’ici cinq ans, et d’atteindre 90% en 2030. Cette stratégie devrait générer 437 millions de dollars par année, selon le gouvernement. Plusieurs gestionnaires de centres de tri soutiennent cependant que cette réglementation frappe au mauvais endroit. «Plus de 95% des contenants visés par la nouvelle consigne sont déjà recyclés et valorisés lorsque les citoyens les déposent dans le bac bleu (ou vert, selon les villes)», soutient Grégory Pratte, responsable des affaires publiques à Tricentris, à Lachute. Des matières qui, dans une vaste proportion, sont recyclées et valorisées au sein d’un circuit court, précise-t-il.
Pour ce gestionnaire, la nouvelle consigne sert principalement à enlever une pression sur le gouvernement en ce qui concerne son rôle dans la gestion du cycle de vie des emballages. Il s’agit, selon Grégory Pratte, d’une «solution de moindre effort» qui vient déshabiller Pierre pour mieux habiller Paul.
«En ajoutant une consigne pour des contenants qui sont déjà valorisés, le gouvernement encourage un effet pervers, avance-t-il. Pourquoi les entreprises visées par la consigne continueraient-elles de payer leur contribution pour la collecte sélective?»
Tous les producteurs d’imprimés et d’emballages, ainsi que les entreprises qui utilisent leurs produits versent effectivement déjà une contribution annuelle établie selon une charte d’Éco Entreprise Québec (ÉEQ), destinée à la gestion des matières introduites sur le marché. En 2021, cette contribution, qui sert à financer la collecte sélective, a été fixée à un montant variant entre 18,6 cents et tout près de 1$ par kilogramme, selon le type de matière.
Écoconception
«En fait, la priorité numéro un de ce chantier gouvernemental devrait être l’écoconception des emballages à la source», renchérit Nathalie Drapeau, directrice générale de la Régie intermunicipale de traitement des matières résiduelles de la Gaspésie. «Ce n’est pas normal qu’en 2021, des fabricants de contenants à usage unique continuent d’inonder le marché de matières qui n’ont toujours pas de débouchés dans le cycle de recyclabilité», dénonce-t-elle. Elle cite notamment tous les sacs de croustilles, les contenants multicouches autoportants — de noix ou de pâtes alimentaires, par exemple — et les emballages de fromage, qui prennent le chemin des sites d’enfouissement faute de marchés postconsommation. Sans compter les multiples emballages qui s’affichent comme recyclables, mais pour lesquels la technologie de valorisation est inexistante dans le monde ou, si elle existe, n’est peut-être pas encore offerte au Québec.
L’ex-directeur du Service du développement durable et de l’environnement pour la Ville de Saguenay, Denis Bernier, déplore, lui aussi, que la modernisation de la collecte sélective rate sa première cible. Devenu consultant en stratégies sociétales et environnementales, il demeure convaincu que les premières actions devraient être effectuées en amont, avant que les emballages ne se retrouvent sur les tablettes. «Prenez simplement les matières plastiques, illustre-t-il. Grâce à de nouveaux procédés et à des avancées technologiques, plus d’une centaine de polymères différents voient le jour chaque année dans le monde. Comment voulez-vous que les villes informent leur population, trient adéquatement et valorisent ces matières quand elles éprouvent déjà de la difficulté à gérer sept catégories?» soulève le consultant qui collabore aujourd’hui avec des dizaines d’entreprises et de municipalités pour la gestion et la mise en valeur des matières résiduelles.
Parmi les recommandations du comité aviseur qui participe au projet gouvernemental de modernisation de la collecte sélective — dont fait entre autres partie l’Union des municipalités du Québec, ÉEQ et le Conseil des entreprises en technologies environnementales du Québec —, on retrouve pourtant celle qui prône une approche de responsabilité élargie des producteurs de tous types d’emballage. Cette approche vise à obliger un jour les producteurs à élaborer, à mettre en œuvre et à financer le système de récupération et de valorisation, le tout dans le but d’assurer le déploiement d’une économie réellement circulaire, c’est-à-dire d’un cycle de vie durable pour ces produits. Mais cette approche responsable ne figure pas encore suffisamment haut dans l’ordre du jour, note Nathalie Drapeau.
«C’est pourtant là qu’on a besoin d’un leadership fort et porteur», maintient la gestionnaire gaspésienne, qui aurait d’ailleurs souhaité prendre part à la réflexion en amont de ce chantier provincial. «Malheureusement, tant que les gouvernements auront zéro contrôle sur les matières qui composent les emballages, avise-t-elle, la collecte sélective, qu’elle soit modernisée ou non, n’obtiendra pas les bénéfices recherchés.»