Les entreprises devront consacrer tôt ou tard davantage d'espace aux lieux de rencontres. (Photo: Christina Wocintechchat pour Unsplash)
IMMOBILIER COMMERCIAL. Que deviendront les tours de bureaux des centres-villes au terme de l’actuelle pandémie? Mystère et boule de gomme, soutiennent plusieurs experts en immobilier commercial qui souhaiteraient tous, sans exception, avoir une boule de cristal entre les mains. N’empêche, très peu d’entre eux broient du noir.
«Rappelez-vous le lendemain de l’attaque des tours du World Trade Center, le 11 septembre 2001: très peu de New-Yorkais souhaitaient retourner travailler dans un bureau situé au 42e, 60e ou même 73e étage, signale Yves-André Godon, directeur général pour le Québec de Bentall-GreenOak. Aujourd’hui, 20 ans plus tard, le coeur de Manhattan n’a jamais été aussi populaire — du moins avant la pandémie.»
«Certes, poursuit-il, il est encore trop tôt pour se prononcer sur ce qui va réellement se produire, poursuit le dirigeant de cette société de gestion immobilière qui veille sur plus de 6,5 millions de pieds carrés dans le Grand Montréal, dont près de 60 % sont des espaces de bureaux. Il y a toutefois certaines évidences que nous ne pourrons plus ignorer, à commencer par le concept du télétravail. Les gestionnaires d’entreprises ont néanmoins réalisé les limites de son efficacité.»
Les renouvellements de baux, particulièrement ceux des moyennes et grandes entreprises, ne s’annoncent donc pas si terribles que ça, avise Yves-André Godon. Très peu de ces locataires privilégient des réductions de superficie. Dans le contexte actuel, soulève-t-il, plusieurs entreprises remettent même en question la densification de leurs espaces de travail.
Il faut savoir que la superficie moyenne consacrée à chaque employé, soit de 200 à 250 pieds carrés, a fondu de moitié au cours des cinq dernières années. «Déjà, avant la pandémie, certains de nos clients avaient entamé des réflexions afin de revoir à la hausse cet espace moyen, note Yves-André Godon. En raison de la distanciation physique, qui va sans doute demeurer un bon moment, on peut supposer que plusieurs organisations vont revoir l’aménagement de leurs espaces.»
Grandes modifications
Selon l’avocat Anthony Arquin, associé en immobilier commercial au cabinet Davies, les réductions potentielles de superficie sont à nuancer. «Les organisations sont en processus de réinvention profonde de leurs espaces actuels», anticipe celui qui travaille dans de nombreux projets de développement immobilier d’envergure au Québec.
Le modèle hybride de travail en personne et de télétravail, poursuit-il, poussera les entreprises à consacrer davantage de pieds carrés aux salles collaboratives et aux lieux de rencontres, afin d’accroître les interactions entre employés et usagers et les inciter à se déplacer au bureau.
Des envies de retour
Un avis que partage Annik Desmarteau, vice-présidente aux bureaux, Québec, chez Ivanhoé Cambridge, ainsi que présidente de BOMA Québec. «Nous sommes conscients que plusieurs employés vont souhaiter préserver le mode hybride. Plusieurs vont sans doute souhaiter travailler de la maison une ou deux journées par semaine. Cela dit, selon les échos de nos partenaires locataires, leurs employés sont de plus en plus nombreux à exprimer vouloir revenir au bureau», a-t-elle souligné dans le cadre de la conférence Immobilier commercial présentée par les Événements Les Affaires en avril.
D’après l’expérience de cette gestionnaire, de nombreux employés plus jeunes ont développé le syndrome du FOMO (Fear of missing out, soit la peur de rater quelque chose). Ceux-ci vont donc souhaiter revenir au bureau afin d’être partie prenante de l’équipe et de ne pas risquer de rater une promotion.
Par ailleurs, les propriétaires et gestionnaires d’immeubles devront, selon elle, faire leur part. «Les actifs immobiliers qui sont bien positionnés vont maintenir leur taux d’occupation. Mais il ne faut pas s’appuyer seulement sur l’attrait des immeubles de catégorie A. Les tours de catégories B et C devront également revoir leurs signatures pour demeurer attrayantes. Ces dernières, insiste-t-elle, sont nécessaires pour assurer une saine dynamique dans un centre-ville.»
Du côté de la Corporation immobilière Kevric, le retour des employés dans les tours de bureaux ne suscite aucun doute. L’entreprise poursuit d’ailleurs des travaux évalués à plus de 50 millions de dollars afin de revitaliser le 600, rue De La Gauchetière Ouest, à Montréal, qui compte 28 étages. La transformation de l’immeuble prévoit une nouvelle fenestration ainsi qu’un tout nouveau grand hall d’entrée qui sera accessible à l’intersection de la rue De La Gauchetière et de la Côte du Beaver Hall, explique Sébastien Hylands, vice-président au développement à Kevric.
«Si les entreprises veulent favoriser le retour des employés au centre-ville, il faudra qu’elles leur proposent des lieux attrayants et stimulants, soutient-il. En créant cette toute "nouvelle tour", on souhaite leur donner un bon coup de main.»