[Photo: 123RF]
Une conférence hors du commun s’est tenue à Val-d’Or les 13 et 14 juin, ne serait-ce que parce qu’on y a entendu cinq langues : français, anglais, cri, algonquin et inuktitut. Le tout, en parfaite harmonie.
L’événement se tenait sous les auspices d’une organisation historique et unique au Québec, peut-être même au Canada : le Secrétariat aux alliances économiques Nation crie Abitibi-Témiscamingue.
Il est important de le dire et le redire : au-delà des manchettes dévastatrices qui mettent l’accent sur les tensions dans la région, qui existent et il ne faut pas le nier, dans les faits, d’immenses progrès ont été accomplis dans les relations entre les Cris, notamment, et les populations de l’Abitibi-Témiscamingue et de la Jamésie. La conférence en question, intitulée Développement du Nord, en était un exemple éloquent.
On y a discuté de la mise en valeur des différentes ressources, des nombreux projets en cours, de leur acceptabilité sociale et des retombées potentielles pour les régions concernées. En coulisses, on brassait des affaires entre entrepreneurs de toutes origines. Et ce n’est pas nouveau. Les Cris (du côté québécois) sont sur une vigoureuse lancée entrepreneuriale.
Étonnant ? Pas du tout. À l’époque, bien des activistes dans le sud du Québec sont venus à leur défense quand Hydro-Québec fonçait avec ses projets de centrales hydroélectriques à la Baie-James.
Incompréhension
On se rend compte aujourd’hui qu’il y avait surtout de l’incompréhension de part et d’autre. La signature de l’Entente sur la Baie-James et le Nord québécois a marqué un changement fondamental, accordant des droits et des compensations aux communautés autochtones touchées. Et la conclusion de la Paix des Braves, en 2002, a concrétisé ce virage fondamental. On a alors compris que les Cris n’étaient pas foncièrement opposés au développement : ils voulaient seulement s’assurer qu’ils en recevraient aux aussi les bénéfices.
Deux personnalités, visionnaires, ont été les joueurs clé dans le cheminement qui a mené à la Paix des Braves, dont on mesure aujourd’hui toute la résonnance : Bernard Landry, alors premier ministre du Québec, et le Dr Ted Moses, alors Grand chef du Grand conseil des Cris. La poignée de main entre les deux, au motel l’Escale, à Val D’Or à l’automne 2002, a fait époque. Elle signalait une nouvelle ère dont l’Abitibi et la Jamésie profitent autant que les communautés de la Baie-James. Le Québec reconnaissait alors le principe du partage des retombées économiques.
Le Dr Moses est aujourd’hui, entre autres, président du conseil du Secrétariat aux alliances économiques Nation crie Abitibi-Témiscamingue. C’est précisément qui se retrouve au coeur de cette exceptionnelle jonction entre entrepreneurs cris, abitibiens et jamésiens.
« En 2002, l’entente de la Paix des Braves attribuait pour 450 millions de dollars de travaux aux Cris, rappelle-t-il, mais il fallait que nous soyons en mesure de répondre aux normes d’Hydro-Québec. » Les Cris ont bien répondu, se sont formés, équipés, et créés entre autres des entreprises de transport et de construction. Efficacement. « Nous avons ainsi démontré la maturité de notre nation, qui adhère à l’idée du développement économique pourvu qu’elle y trouve son compte, dit-il. Et que nous puissions offrir des emplois à nos jeunes. »
Les partenariats se multiplient
Les Cris sont aujourd’hui actifs dans bien des secteurs au-delà de ce qu’on pourrait imaginer. Oui, Air Creebec porte bien son nom, cette société qui offre aujourd’hui des vols vers 16 destinations tant en Ontario qu’au Québec, dont vers Montréal, à partir de sa base de Val d’Or. Fait à noter, son premier président, le regretté Billy Diamond, a joué un rôle important dans la conclusion de l’Accord de la Baie-James et du Nord québécois, en 1975, dont il a été un des signataires.
Mais qui sait qu’ils sont aussi actifs dans l’immobilier, propriétaires à 50 % du Quality Inn de Val-d’Or, avec un deuxième projet à Val d’Or et un autre à Kanata, en Ontario ? Que ces derniers relèvent d’un des filiales de l’entreprise Tawich Development Corporation, qui en compte neuf autres, actives autant en construction qu’en télécommunications, et qui appartient à 100 % à la nation crie de Wemindji ?
De plus, les partenariats d’affaires se multiplient entre les Abitibiens et les Cris. Un bel exemple en est la création en 1996 de Forages Youdin-Rouillier, en août 2016, une nouvelle entreprise née d’un partenariat entre Forages Rouillier, qui existait déjà, et le Dr Moses lui-même. Comme son nom le laisse deviner, l’entreprise agit en matière de forage, dans ce cas-ci pour ce qui a trait à la recherche de diamants. Ce n’est pas improbable, puisqu’une mine est déjà en activité à quelques centaines de kilomètres à l’est, la mine Renard, de la société Stornoway.
Il s’agit là encore d’un nouveau type de partenariat, qui profite tant à un groupe qu’à un autre, que résumait bien Mario Rouillier, président de la firme qui porte son nom, en disant : « En nous associant à des gens qui pensent comme nous, nous contribuerons à la prospérité de tous ».
Tisser des liens
C’est certainement là de la musique aux oreilles de Pierre Ouellet, directeur exécutif du Secrétariat, qui célèbre cette année son quinzième anniversaire. Il est lui-même entrepreneur, et préside notamment CIMDAT, une entreprise spécialisée dans la deuxième et la troisième transformation du bois.
Avec Chantal Hamelin, la directrice des opérations, qui veille à maintenir autant qu’à développer les partenariats, il travaille à tisser des liens entre les communautés, sachant que la prospérité de l’une va rejaillir sur l’autre.
Et les exemples sont nombreux : dans l’hôtellerie, les télécommunications, la distribution du pétrole et autres… « Quand les gens apprennent à se connaître et à travailler ensemble, on ne voit plus les différences… avec un minimum de confiance, et ça fait partie de notre travail, on peut réaliser de grandes choses ».
Allez, franchement, malgré les nouvelles parfois moins réjouissantes, saviez-vous que c’est aussi ce qui se passe au jour le jour du côté de Val d’Or ?
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