Une fois sa carrière politique terminée, Monique Jérôme-Forget est devenue conseillère spéciale du cabinet d'avocats Osler et du recruteur de cadres Korn/Ferry.
LES AFFAIRES - Le retour à la vie active a été assez rapide pour vous. Avez-vous eu une période morte ?
M.J.-F. - Environ six mois, durant lesquels je ne voulais rien savoir de personne. Le lendemain de ma démission, j'ai pris l'avion pour le Mexique. J'ai fait une brisure totale et ça m'a fait du bien. J'étais très fatiguée.
L.A. - Dans votre maison au Mexique, avez-vous envisagé un large éventail de possibilités pour la suite des choses ?
M.J.-F. - Je n'ai rien regardé ! J'apprenais l'espagnol et m'imprégnais de la culture mexicaine. Je profitais de ma maison et du beau temps, j'étais heureuse. Ça n'aurait pas été grave pour moi de ne pas retourner à la vie active. J'imagine que j'aurais eu plus d'angoisses si j'avais quitté la politique à 50 ans... Puis un jour, Osler m'a contactée.
L.A. - Avez-vous consulté des gens avant d'accepter son offre ou celle de Korn/Ferry ?
M.J.-F. - Non. J'ai regardé les gens, comme je fais toujours. Ont-ils les mêmes valeurs que moi ? L'intégrité, la droiture et la franchise, ça a toujours été ma marque de commerce. Je ne voulais pas m'associer à des gens qui risquaient de faire les manchettes en raison d'un manque d'intégrité. Je ne voulais pas non plus travailler pour des entreprises qui faisaient des affaires pour le gouvernement, parce que je ne voulais pas être taxée d'utiliser mon statut d'ancienne ministre des Finances.
L.A. - Quel est votre rôle chez Osler ?
M.J.-F. - Je suis conseillère spéciale, pour eux comme pour Korn/Ferry. Je travaille au développement des affaires et à la stratégie, en trouvant des débouchés ou des partenaires. Les avocats me consultent s'ils ont besoin de conseils, mais je ne fais aucun lobbying et n'ai aucun mandat auprès des clients.
L.A. - Y a-t-il parfois des zones grises ? Avec le Plan Nord, par exemple ?
M.J.-F. - Vous en savez autant que moi sur le Plan Nord. Quand on est sorti de la politique depuis plus de deux ans, on n'a pas d'information privilégiée. Et je ne fais pas de lobbying, sauf pour les OBNL, ce qui n'est pas vraiment du lobbying.
L.A. - La transition s'est bien passée ?
M.J.-F. - Ça a été très facile. J'ai eu beaucoup de veine, puisque j'ai été recrutée tout de suite ou presque. Il n'en reste pas moins que j'ai pris beaucoup d'initiatives. La vie est faite de chances, mais on fait aussi sa chance.
L.A. - Quelle sorte d'initiatives ?
M.J.-F. - Je savais que je devais m'intéresser à un sujet spécifique. C'est pour ça que j'ai écrit un livre sur la présence des femmes à la haute direction des entreprises et aux conseils d'administration. J'ai choisi ce thème par conviction, mais également parce que je sentais que le vent tournait. Le sujet fait boule de neige et suscite l'intérêt des gens. Ça m'a donné une présence publique.
L.A. - Cherchiez-vous à avoir une image autre que celle de la ministre ?
M.J.-F. - Oui, mais je ne souhaitais pas que les gens oublient que j'ai fait de la politique. Être connue et reconnue, c'est positif. Je suis partie au bon moment. J'avais fait et réussi ce que je voulais. Alors je suis sortie avec une bonne note, ce qui m'a aidée à être sollicitée. Je pense qu'on ne quitte pas ce qu'on a fait avant, mais qu'on additionne. Parce que j'ai vécu tout ce que j'ai vécu, je suis devenue une personne auprès de qui les gens cherchent conseil.
L.A. - Qu'auriez-vous fait si vous étiez partie sur une moins bonne note ?
M.J.-F. - Quand on se trompe, il faut se rappeler qu'on a des parachutes et que, au fond, on apprend de ses erreurs. J'en ai commis, tout le monde en commet. Il faut juste apprendre à s'en servir. C'est clair que certains parachutes sont plus difficiles, lorsque quelqu'un est remercié par exemple. Il faut alors se retrousser les manches, estimer nos forces, déceler les ouvertures potentielles et se trouver des mentors - en particulier des hommes, qui détiennent encore les rênes du pouvoir. Il faut trouver des façons d'aboutir quelque part, pour repartir et créer une feuille de route plus positive. La crainte de l'échec ne doit donc pas empêcher de faire de la politique - je le recommande à tout le monde -, à relever un gros défi ou à se mouiller.
L.A. - Comment voyez-vous la suite ?
M.J.-F. - Je vais continuer à faire ce que je fais présentement, c'est-à-dire travailler pour Osler et Korn/Ferry, collaborer au CIRANO, siéger à des CA d'entreprises et d'OBNL. Il s'agit plus pour moi de dire non - très souvent, à peu près toutes les semaines.