(Photo: 123RF)
TÉMOIGNAGES. En temps de crise, le partage et les échanges d'expérience sont plus importants que jamais. C'est pourquoi nous lançons un nouveau rendez-vous: une publication de vos témoignages. Comme entrepreneurs, dirigeants ou employés, comment vivez-vous la crise? Coups de gueule, coups de mous ou coups de génie, nous voulons tout savoir, pour avoir le pouls réel de la communauté d'affaires.
Voici, en rafale, la deuxième édition de cette initiative.
Quand le monde capote, c’est le temps d’innover
Il n’y a rien comme une bonne grosse crise pour ébranler nos biais cognitifs. «Never let a good crisis go to waste», comme le dit si bien Emmanuel Rahm - ancien maire de Chicago et chef de cabinet de Barack Obama. Et la présente crise de la COVID-19 provoque l’éclosion d’un large éventail de besoins humains, nouveaux ou qui étaient à ce jour refoulés.
Tout d’un coup, on prend conscience de nos sens, de notre vulnérabilité et de nos émotions, on introspecte individuellement et collectivement. Du jamais vu. Ça tombe bien, l’innovation se nourrit de besoins humains.
Des problèmes de taille comme celui que nous vivons, c’est des stéroïdes pour se réimaginer. La crise qui attaque actuellement la santé humaine et économique est l’une des conséquences de nos comportements environnementaux néfastes. Si on ne prend pas un véritable virage durable, il faut s’attendre à des pandémies sanitaires à répétition, toutes suivies de krachs économiques. Un perpétuel effet domino, regrettable mais rattrapable.
Pour se réimaginer, il faut penser à long terme. Il faut envisager la solidité financière en se basant davantage sur la performance (des ventes et des revenus - top line) plutôt que sur le résultat net qui est le reflet d'une bonne gestion des coûts et des opérations (bottom line). Il faut repenser nos modèles d’affaires, repenser notre offre, repenser comment s’approvisionner, repenser comment on attire et on gère la main-d’œuvre, repenser comment on produit, repenser comment on distribue, repenser comment on emballe, repenser comment on consomme, et repenser comment on dispose.
Alors que 50% de la population qui vit sur 1% de la surface de la planète produit 86% des émissions de CO2, il est devenu urgent de préserver et d’optimiser nos ressources. Et, ça passe en grande partie par la réorganisation de nos entreprises.
Il faut s’habituer à avancer vers l’inconnu et rester pertinent en misant sur des besoins humains qui évoluent plus rapidement qu’avant.
L’innovation est stimulée par l’instinct du terrain et soutenue par la science. Elle a le pouvoir d’être un moteur de croissance flexible et durable. Ses principes directeurs sont fondés sur tout sauf le statu quo: l’empathie, le changement, l’itération et l’évolution. Les entreprises devront repenser ce qu’elles ont à offrir à leurs clients et réimaginer l’évolution de leurs portfolios de produits ou services. Et cette adaptation dépendra de leur perspicacité à analyser les nouveaux besoins qui se dessinent. Mais comment les identifier et capitaliser sur ces besoins émergents? Comment comprendre où ils prennent racine et comment combler ces vides émotifs pour les transformer en un terrain fertile d’opportunités pour l’innovation?
L’innovation a plus que jamais sa place là où un problème d’affaire se manifeste, peu importe lequel et peu importe où il se trouve dans l’entreprise. De redéfinir l’expérience employé en entreprise dans un contexte de pénurie d’emplois et de précarité sanitaire ; à briser la transphobie auprès des jeunes ; à réinventer l’industrie laitière ; à créer des lignes de produits de consommation jamais vus qui plaisent à la masse, ce sont tous des façons d'innover. Les entreprises doivent trouver de nouveaux vecteurs de croissance et plus que jamais, ça passe par l'innovation. Créer un impact positif et de la valeur durable dans les entreprises et dans la vie des consommateurs n'a jamais été aussi essentiel.
Anne-Marie Leclair
Associée et vice-présidente, stratégie et innovation
LG2
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Autonomie alimentaire: le Québec a tout pour réussir
Ces jours-ci, on parle beaucoup dans les médias de l’autonomie alimentaire du Québec, un sujet qui fait les manchettes en raison de la COVID-19. Si l’autonomie est atteinte avec certains produits dont la volaille, le porc et le lait, est-il utopique de penser que nous pourrions devenir un jour pleinement autosuffisants?
Aujourd’hui, nous pouvons manger des fraises québécoises en novembre, des tomates ainsi que des fines herbes et des laitues locales à l’année, et même des citrons exotiques. Les abonnements aux paniers d’aliments issus de l’agriculture urbaine en janvier sont en hausse - le bio local a la cote et des consommateurs sont prêts à payer.
Pour la plupart des gens cependant, le prix de ces denrées constitue un frein important. La serriculture maraichère doit produire des quantités suffisantes pour générer des économies d’échelle qui rendent leur prix concurrentiel, et augmenter la variété des aliments mis en marché. C’est ainsi que manger local sera plus accessible à une plus grande partie de la population.
On sait que l’Ontario, malgré des tarifs d’électricité élevés comparé au Québec et l’absence d’aide financière à l’achat de luminaires écoénergétiques telle qu’offerte par Hydro-Québec, fait pousser dans certains cas quatre fois plus du même produit que les serriculteurs du Québec. L’Ontario compte moins d’exploitations, mais leur taille fait en sorte qu’elles jouissent d’économies d’échelle qui se reflètent dans les prix au consommateur et les recettes des serriculteurs. Et de gros producteurs prennent en charge la distribution des plus petits.
Le Québec compte quelques serriculteurs qui opèrent à grande échelle mais pour aspirer à l’autonomie alimentaire, il en faut plus. Pour ce faire, nous devons repenser nos modèles et adopter de nouvelles approches pour produire davantage, tant en variété qu’en quantité.
Nous jouissons d’un écosystème avantageux pour réussir à produire en serre des denrées qui, autrement, seraient importées hors saison: des canaux de distribution auprès des consommateurs variés et efficaces, les tarifs d’électricité les moins chers en Amérique du Nord, des fournisseurs de serres qui utilisent des conteneurs récupérés et même des installations de recherche dans nos universités (Laval, UQO, McGill, ITA, …).
Ajoutons à cela un modèle coopératif fort dans la transformation alimentaire qui fédère les efforts des petits producteurs, alors que les multinationales dominent ailleurs au Canada.
Utopie, l’autonomie alimentaire? D’emblée, on reconnait que c’est tout un défi. Environ la moitié des achats alimentaires des Québécois proviennent d’ici. De plus, 70% des ventes du secteur agricole sont destinées aux entreprises de transformation du Québec. En raison de notre nordicité, de l’ouverture des marchés, de même que l’évolution des caractéristiques démographiques et des préférences alimentaires des Québécois, nous devons combler la différence entre l’offre locale et la demande.
Plusieurs l’ont dit, nous n’arrêterons pas de consommer des oranges ou des bananes, mais on peut augmenter significativement notre autonomie à l’aide de la serriculture maraichère. Il s’agit de mobiliser les forces entrepreneuriales et gouvernementales pour faire croître une agriculture qui utilise la technologie pour produire localement et à l’année, dans le respect de la nature, et appuyée par des consommateurs de plus en plus conscientisés envers l’achat local. Et, pourquoi pas, de faire de la serriculture un levier de développement dans certaines régions.
Louis Brun
Président et chef de la direction
Sollum Technologies
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Un burger Boeuf Québec à 500 millions de dollars
Depuis 2016, plusieurs personnes m’ont demandé pourquoi je m’investis autant à la réussite du programme Bœuf Québec. La COVID-19 me fournit le contexte pour bien faire comprendre la vision qui me motive: le burger à 500 millions de dollars!
D’abord, Bœuf Québec, c’est un énorme chantier économique. Je ne comprends pas pourquoi l’économie québécoise perd plus d’un milliard de dollars chaque année en consommant du bœuf étranger, plutôt que d’enrichir le Québec et ses régions. Actuellement, l’élevage des bouvillons, c’est environ 200 millions de dollars annuellement et ça répond à moins de 20% de la demande québécoise.
Ainsi, la reconstruction de l’élevage et de la transformation du bœuf au Québec est un énorme projet d’affaires. Je crois qu’au cours des 5 prochaines années on peut reconstruire et doubler la production, et assurer une grande partie de la transformation au Québec. À terme, c’est près de 500 millions de dollars chaque année directement dans les régions pour la production de bouvillons et sa transformation!
Ensuite, parce que les familles québécoises méritent de manger du bœuf du Québec. Les consommateurs québécois ont la chance d’avoir des œufs, du lait, du porc, du poulet, de l’agneau de grande qualité issus de l’élevage québécois. Pourquoi est-ce qu’ils mangeraient du bœuf dont ils ne connaissent ni la provenance, ni les conditions d’élevage? Je suis convaincu que les consommateurs québécois méritent du bœuf du Québec!
Enfin, parce que les éleveurs des veaux d’embouche et de bouvillons méritent un contexte d’affaires gagnant. Il faut reconstruire une filière de production avec un nouveau modèle d’affaires plus équitable pour les producteurs afin qu’ils investissent dans la production. C’est 40 ans de culture à changer, mais c’est l’ambition de Bœuf Québec.
Voilà ce qui me motive à inviter les consommateurs, les producteurs et les partenaires à embarquer dans le savoureux chantier économique Bœuf Québec, en s’impliquant un burger à la fois. Si on travaille ensemble, il retournera annuellement 500 millions de dollars directement dans l’économie québécoise dans 5 ans!
Jean-Sébastien Gascon
Coordonnateur du programme Partenaires Boeuf Québec
Directeur général
Société des parcs d'engraissement du Québec
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Le secteur caritatif: un service essentiel qui a besoin d’aide
Dans l’avalanche de nouvelles liées à cette période sans précédent, et de mesures prises par les gouvernements pour enrayer la pandémie, le secteur caritatif de la santé au Canada subit des dommages dévastateurs. Le premier ministre Justin Trudeau a reçu de nombreux appels à l’aide.
Le 29 mars dernier, il a reconnu la situation critique dans laquelle se trouve le secteur caritatif. Selon lui, «les organismes de bienfaisance et à but non lucratif font un travail d’une importance vitale en ces temps difficiles, mais sont nombreux à manquer de dons et à s’inquiéter quant à leur capacité à poursuivre leurs activités». Il avait donc annoncé qu’un soutien serait apporté à certains organismes caritatifs et qu’une aide serait prévue pour ce secteur en général. Le lendemain, Justin Trudeau a précisé que les organismes de bienfaisance seront inclus dans un programme de subventions salariales.
C’est un bon début, mais il reste encore beaucoup à faire pour aider les organismes de bienfaisance à soutenir nos concitoyens les plus vulnérables. Les responsables de ces organismes ont surtout l’impression que leurs programmes de recherche et de collecte de fonds ont besoin d’être soutenus.
La réalité est que le secteur caritatif, déjà sous pression, fait maintenant face à deux défis redoutables: sa capacité de donner les soins, et la perturbation économique entraînant des pertes d’emplois. Avec les restrictions nécessaires de la distanciation sociale pour protéger notre santé, des activités de collecte de fonds sont annulées et les dons fondent comme neige au soleil pour de nombreux organismes de bienfaisance qui en ont besoin pour survivre.
Le travail des organismes de bienfaisance n’a jamais été aussi important ni aussi menacé.
La recherche fondamentale en santé est très importante: Cœur + AVC est le plus important bailleur de fonds non gouvernemental pour la recherche en santé cardiaque et cérébrale au pays. Chaque année, la population investit 33 millions de dollars dans notre mission pour prévenir, diagnostiquer et traiter les maladies du cœur, l’AVC et les déficits cognitifs d’origine vasculaire, et pour favoriser le rétablissement.
La fondation s’associe aux principaux hôpitaux, universités, établissements de recherche et chercheurs au pays pour accroître nos connaissances scientifiques, découvrir de nouveaux tests et traitements, faciliter les soins et les pratiques cliniques, et ainsi améliorer la santé de la population.
Comme le risque de complications avec la COVID-19 est plus élevé pour les personnes souffrant d’une maladie du cœur ou ayant subi un AVC, il est plus urgent que jamais de financer la recherche.
Notre système de santé doit avoir la capacité d’agir pendant la pandémie. Cœur + AVC est un chef de file de la formation en premiers secours et en RCR. Elle est bien placée pour appuyer les médecins et les infirmiers à la retraite qui retournent sur le terrain, en actualisant leurs compétences en réanimation grâce à ses programmes. Aussi, Cœur + AVC travaille étroitement avec des établissements pour créer des méthodes d’apprentissage flexibles qui garantissent qu’une RCR de haute qualité peut être pratiquée en toute sécurité, peu importe le contexte.
Cœur + AVC est un organisme caritatif qui offre des services essentiels en cette période marquante, dans un secteur qui joue un rôle primordial pour des communautés saines, pendant et après la pandémie.
Le ministre des Finances de l’Ontario a récemment fait remarquer que pendant la pandémie de COVID-19, chaque dollar dépensé pour sauver un emploi ou une vie est un dollar bien investi. Investir dans le secteur caritatif de la santé est bénéfique pour l’économie et la population.
Le secteur caritatif demande au gouvernement fédéral un fonds de stabilisation de 8 à 10 milliards de dollars composé principalement de subventions aux organismes à but non lucratif afin de permettre à celles-ci de poursuivre leur travail essentiel malgré une perte de revenus prévue de 30% en raison de la crise actuelle.
Le secteur à but non lucratif contribue à plus de 8% du PIB et emploie 2,4 millions de personnes au pays. Les organismes de bienfaisance sont un élément vital de l’économie canadienne et font partie de la lutte communautaire contre la COVID-19 pour assurer la sécurité et la santé de tous.
Nous demandons aux gouvernements d’inclure le secteur caritatif dans leurs plans de stabilisation et de protection de ce qui est le plus important: la santé et le bien-être de la population.
Doug Roth
Chef de la direction
Cœur + AVC
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Si nous n’avons pas confiance dans l’après COVID19, comment pourrons-nous vaincre l’adversité?
Dans les dernières semaines, j’ai eu la chance de parler avec plusieurs entrepreneurs sur leur perception de comment sera le monde après cette crise mondiale de la COVID19. Plus récemment, le Journal de Montréal m’a demandé mon avis personnel sur le sujet.
La question, posée froidement m’a amené à réfléchir: «considérant que le milieu du divertissement ne sera plus jamais pareil et que les chances d’une reprise à court terme sont presque nulles, comment voyez-vous le futur de votre entreprise?» BOOM! Disons que j’ai reçu la question comme un boxeur qui reçoit une droite en plein visage au moment où il était certain qu’il allait finir par vaincre son adversaire, un K.O.!
Cette question m’a amené à réfléchir sur l’industrie dans laquelle j’évolue: le divertissement et aussi la pertinence de poursuivre dans ce domaine. Déjà, j’avais mobilisé des équipes pour travailler sur des options: développer des bracelets pour le CHSLD pour permettre d’obtenir de l’information sur les soins de nos parents vieillissants, ou encore de développer un bracelet de paiement pour les prisons dans le but de faire disparaître l’argent physique et diminuer la violence liée à la cantine.
Malgré des projets avec un potentiel commercial très important et des idées nombreuses, la réalité, c’est qu’il n’y a rien qui me rend plus heureux que de voir 60 000 personnes sur les Plaines d’Abraham, la main levée portant fièrement mon bracelet à puce durant un spectacle du Festival d’été de Québec.
Le plus incommodant pour l’entrepreneur que je suis, c’est la difficulté à voir de l’espoir. Chaque jour, de nouvelles mesures amènent des annulations d’événements, maintenant jusqu’au 31 août selon la directive du gouvernement provincial. Nos clients étaient désespérés et me demandaient si je pensais que nous allions bientôt avoir terminé d’encaisser des coups. Les dernières annonces du gouvernement fédéral étaient vides d’espoir. Nous informant qu’il faut être réaliste, que tout cela pourrait durer encore plus d’une année. Pire, selon des chercheurs de Harvard, la distanciation sociale pourrait rester jusqu’en 2022 aux États-Unis. Ouf.
Cela m’a ramené à l’importance de pouvoir cultiver l’espoir pour réussir à traverser la crise. L’auteur Viktor Frankl, un prisonnier dans les camps de concentration nazis de la Seconde guerre mondiale, a écrit un livre sur le sujet: Man’s Search for Meaning. Selon Frankl, la façon dont un prisonnier imaginait l’avenir affectait sa longévité. L’emprise intérieure qu’un prisonnier a sur son moi spirituel repose sur le fait d’avoir de l’espoir dans le futur, et une fois son espoir disparu, il est perdu.
Est-ce que notre espoir dans le futur nous permettra de passer à travers cette crise ? C’est mon avis. Ce qui est difficile aujourd’hui, c’est de devoir uniquement vivre dans le présent, celui du confinement, sans avoir une idée claire de ce que sera la reprise économique et sociale.
Est-ce que notre monde sera semblable à l’avant-crise, probablement pas et je ne pense pas non plus que ça soit souhaitable. Est-ce que je pense que le besoin de se ressembler, de se divertir et d’être ensemble, sans 2 mètres de distance reviendront: j’ai espoir.
Je crois fermement que nous devons garder espoir et j’espère que bientôt, nous pourrons doser entre les mauvaises nouvelles d’aujourd’hui et les bonnes nouvelles à venir.
Cet espoir me motive à poursuivre à chercher des solutions, réfléchir à des opportunités, à voir plus large.
Et vous, avez-vous espoir dans votre industrie? Dans la relance?
Dominic Gagnon
Fondateur et PDG
Connect&GO
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Lettre à Justin Trudeau et Bill Morneau
Bonjour Messieurs les Ministres,
Je suis gestionnaire d'une entreprise en biotechnologie depuis plusieurs années et notre entreprise (comme beaucoup d'autres biotechs) n'a aucun revenu mais beaucoup de dépenses en salaires, R&D et autres dépenses administratives. Nous finançons toutes nos activités via des levées de fonds auprès d'investisseurs accrédités. Nous n'avons jamais eu de revenus. Serait-il possible d'obtenir une catégorie spéciale qui ne tiendrait pas compte d'une diminution d'un chiffre d'affaires de 15% (ex.: entreprises sans revenus en R&D et recherches fondamentales) dans votre programme de «subvention salariale d’urgence» afin que nous puissions bénéficier de la subvention qui couvre 75% des salaires? Cela nous permettrait de poursuivre le paiement des salaires de nos chercheurs et de maintenir nos avancées scientifiques qui se font ici au Canada.
Je vous remercie de votre aide et bon courage dans cette période difficile.
Léo Bazinet
Vice-président administration
Replicor Inc.
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Journal d'une entrepreneure en télétravail
Soyons honnêtes, ce foutu virus a chamboulé notre vie familiale et notre vie professionnelle!
J’ai beau suivre mille et un webinaires sur comment travailler de façon efficace de la maison, je m’ennuie de mon bureau, de mes collègues et… de ma confortable chaise de bureau! Celle que j’utilise à la maison devant l’ordinateur est minable! J’ai les fesses carrées! Ergonomique? Vraiment pas! Ma chaise et la définition d’ergonomie sont deux lignes parallèles: elles ne se rencontreront jamais, sauf dans le cas d’un accident!
Mais aujourd’hui, je suis fière de ce que j’ai accompli... toute seule!
Parce qu’ici, chez moi, il n’y a pas ma collègue Mayanin qui me dit: «Laisse faire, Nancy. Ne touche à rien! Je vais le faire!» Ni Hélène qui me dit en riant «Laisse, ça va me prendre 5 minutes...» Moi, ça serait plutôt 2 heures et un répertoire de gros mots en italien!
J’ai réussi à faire des factures, à effectuer des changements sur le site de FedEx pour que la collecte des caisses d’huile se fasse à partir de chez moi, à imprimer des étiquettes pour les premiers envois de la maison – tout ça, dans la bonne humeur!
Il faut dire que j’avais toute la journée pour faire ces trois tâches. Alors, que voulez-vous, j’ai pris mon temps!
Et voilà que MonOlivier est opérationnel! Je vends des aliments et tout se fait en ligne... Comme le dit si bien Franky: «Le Québec est en pause... pas en vacances.»
Je regarde mes premières caisses à livrer et j’ai l’impression d’avoir réussi un grand exploit! Il ne me reste qu’à souhaiter qu’elles arrivent aux bonnes adresses…
Nancy Rossi
Propriétaire de l’oliveraie et présidente
Mon Olivier
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Chronique d’un Nouveau Monde
Voici un aperçu de ce que je vis comme entrepreneure, confrontée du jour au lendemain à l’effondrement de ses activités, et revenus, mais aussi à l’opportunité de se réinventer, pour le meilleur…
Mon témoignage est articulé autour de deux volets :
- La chronologie des évènements tels que je les ai vécus, structure autour des grandes étapes du vécu dans la gestion du changement
- Mes principaux apprentissages à ce moment-ci
1. Chronologie des évènements :
Depuis 3 semaines, j’ai traversé de manière très intense les phases du deuil décrites dans la littérature :
1.1. La prise de conscience
Le choc: Consultante, coach, formatrice dans le domaine du management et des ressources humaines, j’ai assisté, d’abord incrédule, à l’annulation en 48h, les 12 et 13 mars, de l’ensemble de mes engagements clients pour les deux mois à venir, soit une perte de revenus de 60 000$ environ.
En deux jours, mon statut est passé de celui de consultante très demandée, reconnue par ses clients, débordée, avec des revenus certes jamais acquis, mais quand même stables depuis plusieurs années, au statut de consultante au chômage. Mais sans aucun revenu, et plus aucune perspective de travail, pour une durée indéterminée.
La peur: J’ai été expulsée du monde confortable des personnes très occupées (même si le statut de consultant indépendant exigeait de sans cesse créer mes sources d’activité et de revenus), pour échouer en marge de la société, sans aucune protection, si ce n’est puiser dans mes économies et l’argent mis de côté pour ma retraite.
Dans les premiers 48 heures, mon énergie a été consacrée à me faire payer auprès de mes clients des sommes dues, de peur que très vite plus personne ne soit aux commandes sur un plan administratif. Passée l’incrédulité, j’ai agi sous l’aiguillon de la peur et de l’insécurité extrême.
Quand j’ai été rassurée, au moins sur le fait que je serais payée des sommes dues, mon insécurité s’est calmée.
Les différentes mesures gouvernementales, que je n’ai pas encore commencé à toucher, devraient me permettre au moins de couvrir une partie de mes charges (loyer, emprunts). Je n’ai pas de salarié, donc pas ce souci d’une personne à mettre à pied.
Le déni et l’emballement: Un certain apaisement m’a gagnée, devant ce temps qui enfin se libérait, dans mon agenda, et la possibilité de me consacrer aussi à la conception et au développement de projets que j’avais négligés, et qui, pensais-je, se déploieraient tels que conçus. Je n’étais pas encore en état, le vendredi, d’intégrer l’ampleur de la crise. Dans les premiers jours, je ressemblais à «une poule pas de tête», qui continuait à penser, agir, se démener, en n’ayant pas pris la mesure de la situation. J’ai même pris le temps de faire le post-mortem avec certains clients de formations que je venais d’animer, et de discuter des étapes à venir. Déconnectée.
1.2. La remise en question
Dès le lundi 16 mars, j’ai décidé de revoir en profondeur mon activité, et de contacter l’ensemble de mes clients pour leur proposer mes services gratuitement et les coacher. J’ai entrepris également de me former à des plateformes à distance, me proposant pour animer des webinaires (ce que je n’avais jamais fait auparavant, mon métier s’exerçant exclusivement en présence, auprès d’individus, d’équipes en formation ou de comités de gestion).
Pendant trois jours, je me suis agitée, activée, démenée, me convaincant que j’étais passée sans transition de l’ancien monde à un monde en train d’être défini, et qu’il suffisait que je déploie ma créativité et mon énergie pour redresser la situation et continuer à agir et intervenir comme avant.
Encouragée dans cette illusion par les échanges que j’entretenais avec mes partenaires, également pris dans cette suractivité. Victime d’un syndrome de toute puissance et de déni.
Le mercredi 18 mars, le découragement m’a gagnée: mes clients ont pour la plupart réagi positivement à mes messages, mais m’ont laissé tous entendre qu’ils étaient très occupés à se réorganiser.
En clair: mes messages étaient fort sympathiques, mais pour l’instant on n’avait pas besoin de moi. J’ai alors compris que mes magnifiques stratégies de webinaires, coaching à distance, formations new-look révolutionnaires et toutes les idées que j’avais caressées étaient totalement déconnectées des besoins immédiats, et que par conséquent les journées à Montréal, dans mon appartement, seule avec ma fille, allaient être bien longues.
Dans le même temps, je recevais des messages, bien intentionnés, d’amis, anciens collègues, pour la plupart salariés et non mis à pied, ou à la retraite, se demandant si ma santé allait bien (merci), mais aucun n’imaginant la réalité d’effondrement de mon activité et de mes revenus. Certains se réjouissaient même pour moi de la possibilité de puiser enfin dans ma grande bibliothèque de livres.
La colère s’est mise à monter, et un grand sentiment d’injustice. J’ai compris que ma bataille pour préserver coûte que coûte mon ancien monde, mon univers, était perdue. Et que je devais accepter de tourner la page.
1.3. La prise de décision et l’engagement
Le jeudi 18 mars, soit 7 jours après ma fin du monde, j’ai décidé de quitter Montréal avec ma fille, multi-handicapée et très à risque sur un plan respiratoire, pour m’établir à la campagne auprès de mon conjoint, cadre de direction dans un grand CIUSSS régional.
J’ai fait mes bagages, pour plusieurs mois. Tellement consciente que ces gestes que j’accomplissais, tous les migrants et réfugiés de ce monde les avaient également accomplis, dans des conditions autrement plus terrifiantes, en fuyant la guerre, l’oppression ou des catastrophes naturelles.
Très lucide aussi, que le fait qu’à mon retour, je serais profondément transformée et différente, pour retrouver un monde sans aucun point commun avec celui que je m’apprêtais à quitter.
J’ai alors décidé que je devais réinventer mon activité, et utiliser cette opportunité que la crise m’apportait, pour créer de nouvelles offres de services, moins épuisantes, plus respectueuses de mon rythme, en me formant aux nouvelles technologies pour offrir mes services à distance, grâce aux nouvelles plateformes numériques.
1.4. L’expérimentation
En 3 semaines, mon activité, et ma vie, ont été transformés en profondeur :
- J’anime des rencontres avec des clients à distance en utilisant des plateformes comme Zoom ou Teams, pour l’instant gratuitement;
- J’ai bâti et animé mes premiers webinaires, gratuitement;
- Je réalise des coachings et codéveloppements à distances, gratuitement;
- J’ai écrit 10 blogues sur le thème de la résilience;
- Je me prépare à enseigner avec mes étudiants de Toulouse Business School pendant 3 jours, en mai, à distance, en utilisant Zoom;
- J’actualise les contenus de l’ensemble de mes séminaires ou formations à la réalité de la pandémie, sur de nouveaux supports, dans cette nouvelle réalité;
- J’ai transformé mon offre de service pour proposer à l’ensemble de mes clients de convertir les activités prévues à l’agenda en activités à distance;
- J’ai entrepris de couper toutes les dépenses non essentielles pour mon activité: local professionnel, abonnements, reports d’échéances de prêts.
Avec ma fille, nous avons créé une activité bénévole : l’heure du conte avec Marielle et Ghislaine, auprès des enfants de nos amis ou voisins, en téléchargeant des livres de contes numériques de la Bibliothèque de Montréal pour les lire à distance.
2. Mes apprentissages dans la crise
- Je suis confiante que mes activités rémunérées vont reprendre, mais probablement à hauteur de 30% dans les prochaines semaines, puis 60% dans les mois suivants. Pour l’instant je vis sur mes réserves;
- Je suis certaine que, quoi qu’il arrive, je trouverai un moyen de m’en sortir;
- Le plus difficile, c’est le manque d’empathie de la part des personnes qui ont la chance d’avoir encore des revenus, et qui, sans aucune mauvaise intention, ne réalisent absolument pas que ce n’est pas le cas de tous;
- Je réalise que je suis témoin d’une vaste fourmilière, dans laquelle cette pandémie a agi comme un coup de pied, et que tous s’agitent de manière désordonnée pour offrir les mêmes vieilles recettes qu’avant, travesties sous forme de médias électroniques et de moyens modernes, mais pensées selon les mêmes concepts et croyances;
- Ce qui arrive est terrible, et en même temps une occasion inespérée pour enfin changer mon rapport à mon métier : je dois certes m’adapter, et me former à de nouveaux médiums, je n’aurai effectivement pas le choix. Mais l’essentiel est ailleurs, et se captera dans une révolution radicale, dans ma manière même d’appréhender le monde, le quotidien, l’activité professionnelle. Je dois rentrer à l’intérieur, chez moi, mais aussi en moi, pas seulement pour me protéger du virus, mais pour traverser l’épreuve, accepter de me perdre, de perdre tous mes repères, pour me transformer, en abdiquant toute volonté illusoire de contrôler et diriger cette transformation;
- Le pire risque, ce n’est pas tant la perte de mes revenus dans les prochains mois, mais ce serait de passer à côté de ce rendez-vous avec moi-même et cette invitation que la vie m’envoie, et nous envoie à tous, de vraiment repenser une vision consumériste et productive de la vie et du temps. Mordre la poussière, accepter ce qui est plus grand que moi, nous, pour vraiment en saisir les leçons et messages essentiels;
- J’aurai des rechutes, je céderai à l’anxiété, l’hyperactivité, l’activisme à tout crin pour fuir le vide et l’insupportable, mais je dois à partir de maintenant faire un pacte avec moi-même, ne pas me perdre de vue, documenter ce qui se passe, ce que je vis, ce que je comprends, capter ce qui émerge, pas forcément à chaque heure, mais quand je le sens. Me laisser transformer, agir et poser les gestes essentiels pour ma survie financière, mais accepter aussi de me laisser soulever et brasser par la vague. J’ai lâché-prise, pour épouser le mouvement, et accepter de se laisser transformer.
Ghislaine Clot
Présidente
Ghislaine Clot Conseil