Maison Orphée diversifie de plus en plus son offre, notamment avec le lancement d’une collection de sauces de finition. Sur notre photo, la copropriétaire Élisabeth Bélanger. (Photo: courtoisie)
COMMERCE DE DÉTAIL. Après le choc sur les coûts causé par la disruption des chaînes d’approvisionnement pendant la pandémie, les détaillants doivent conjuguer avec l’inflation, la hausse des taux d’intérêt et celle des conflits géopolitiques. Ils recherchent des solutions.
À la fin de 2021, le détaillant d’huiles végétales et de condiments Maison Orphée choisit un fournisseur espagnol pour remplacer ses bouteilles, devenues trop coûteuses. L’entreprise lance ses nouveaux contenants sur le marché en février 2022.
Le 25 février, trois jours après l’invasion de l’Ukraine par la Russie, le fournisseur leur apprend que deux des trois formats de bouteilles sont fabriqués en Ukraine et qu’il ne pourra plus les approvisionner. « Nous avons dû recommencer le processus, raconte la copropriétaire Élisabeth Bélanger. Nous avons été privés d’un modèle pendant quatre mois. »
La guerre en Ukraine a aussi fait s’envoler pendant plusieurs mois le prix de l’huile de tournesol, dont ce pays est le premier fournisseur mondial. À tel point que Maison Orphée a cessé de vendre sa mayonnaise pendant cinq mois. « Nous ne pouvions plus l’offrir à un prix de vente raisonnable », souligne la copropriétaire.
L’huile d’olive, son produit phare, coûte de plus en plus cher. Les prix de l’huile d’olive extravierge espagnole, italienne ou grecque ont augmenté d’au moins 40 % en 2023 par rapport à l’année précédente. « En plus, nous devons nous déplacer certains moments de l’année et acheter de grandes quantités, que l’on doit stocker, ce qui engendre des dépenses importantes », explique Élisabeth Bélanger.
Pour contourner ces difficultés, Maison Orphée mise de plus en plus sur les huiles de graines (canola, sésame, tournesol) moins chères et pressées à la demande. Elle diversifie aussi son offre. Elle vient de lancer, en mars 2024, la collection Sauce Accent, des sauces de finition aux saveurs internationales. L’entreprise a acquis un robot pour automatiser la palettisation de ses produits, en plus d’automatiser l’entrée des bouteilles sur la ligne d’embouteillage et la gestion des factures à payer.
De multiples pressions
Chez Deloitte Canada, l’associé et leader national en transformation du commerce de détail, Jason Vickers, voit plusieurs défis compliquer la gestion des coûts des détaillants. Le plus grand, selon lui, reste l’augmentation des prix des fournisseurs, qui peuvent atteindre jusqu’à 80% à 90% du prix de vente des commerçants.
S’ajoutent à cela les difficultés d’approvisionnement. « La pandémie en a été responsable pendant un temps, mais aujourd’hui, elles viennent plutôt des conflits géopolitiques », explique Jason Vickers. Certains transporteurs évitent, par exemple, de passer par la mer Rouge en raison du risque d’être attaqués par les rebelles houthis du Yémen. Ils doivent donc contourner l’Afrique du Sud pour naviguer de l’est à l’ouest du globe, ce qui allonge le transit.
Pendant la COVID-19, le coût pour acheminer un conteneur de la Chine jusqu’au Canada était passé d’environ 2000 $ à entre 25 000 $ et 30 000 $. Aujourd’hui, le prix avoisine les 3000 $. Ça demeure plus cher qu’en 2019, mais rien comparé au choc brutal de 2020.
« La main-d’œuvre reste rare pour les postes d’entrée, qui constituent la grande majorité des emplois dans ce secteur », ajoute Jason Vickers. D’après Détail Québec, le salaire médian a progressé de 22 % à 39 %, selon la fonction, entre 2017 et 2022. Le salaire minimum a quant à lui grimpé de 33 % pendant cette période. L’augmentation médiane des salaires des détaillants en 2024 est de 3 %, un peu inférieure à la hausse de 3,28 % du salaire minimum en vigueur le 1er mai.
Enfin, la différence entre le stock vendu et le stock perdu (jeté ou volé), d’environ 1 % en temps normal, se situe entre 2 % et 3 % ces dernières années. « Cela a un gros impact sur la marge de profit », note Jason Vickers.
Les commerçants tentent donc de négocier plus serré avec les fournisseurs, ce qui n’est pas toujours facile. Certains, comme les épiceries, misent beaucoup sur les marques maison, vendues à meilleurs prix. Si les coûts du transport sont durs à contrôler, l’automatisation aide à rendre les entrepôts et les centres de distribution plus efficaces et moins coûteux.
L’automatisation se répand aussi dans les magasins, notamment sous la forme de caisses automatiques ou d’applications pour permettre aux clients de numériser leurs produits eux-mêmes et parfois même de les payer sans passer à une caisse.
Du côté du commerce en ligne, les détaillants augmentent la valeur des achats minimaux pour obtenir la livraison gratuite et restreignent les possibilités de retours gratuits.
« Les détaillants sont habitués à s’adapter et à montrer leur résilience, affirme Jason Vickers. C’est un secteur très concurrentiel, donc c’est vraiment dans leur ADN. »