L’avènement d’outils comme la MDB, qui transforment le travail des architectes plutôt que de simplement l’informatiser, demandera une réflexion sur les façons de les enseigner.
Comment évolue la formation pour répondre aux nouvelles réalités du métier ? Celle-ci a-t-elle su bien s'adapter aux nouvelles technologies, par exemple ? Les firmes sont-elles satisfaites de la formation reçue par leurs jeunes recrues ?
Chez Lemay, la maîtrise des outils de modélisation des données du bâtiment (MDB) est presque devenue une condition sine qua non à l'embauche, explique Eric Croteau, architecte, associé écologique LEED, associé et directeur de projet. Il est également responsable de l'implantation des technologies MDB dans la pratique de Lemay. «Aujourd'hui, l'informatique pure et la création architecturale se rencontrent et sont intimement liées, dit-il. Et ça évolue à la vitesse grand V.»
La formation universitaire, cependant, ne prépare toujours pas les étudiants aussi bien que l'aimerait Lemay, tout comme d'autres grands cabinets. Pour répondre à ses besoins, Lemay offre donc de la formation interne à ses employés. Au fil des ans, l'entreprise dit en avoir formé plusieurs centaines.
Si M. Croteau reconnaît d'une part que la formation universitaire est déjà très chargée, il estime d'autre part qu'il est aujourd'hui essentiel non pas de seulement expliquer le fonctionnement des nouveaux outils technologiques, comme les outils MDB, mais également d'enseigner aux étudiants à penser avec ces outils. «Il faudrait former les étudiants à la logique paramétrique qui résulte des outils MDB», dit M. Croteau. Mais actuellement, ce sont surtout les programmes techniques qui se chargent de ces tâches.
Le Cégep Limoilou, par exemple, ouvrait les portes de son nouveau Centre d'expertise BIM (Building Information Modeling) tout récemment. La formation universitaire est toutefois réticente à aller dans cette direction. «Il y a eu plusieurs événements organisés sur la MDB, notamment à l'ÉTS, et les universités brillaient par leur absence, dit M. Croteau. Il y a une grande réflexion à tenir parce que la frontière entre la création et la réalisation s'estompe.»
Mieux connaître l'impact
Les universités enseignent de plus en plus le fonctionnement des nouveaux logiciels et outils technologiques, note Thomas Balaban, un professeur à l'École d'architecture de l'Université de Montréal qui étudie l'influence de la technologie et des nouveaux paradigmes numériques sur les processus de design et de conception. Il est aussi architecte et fondateur de l'agence d'architecture TBA. Sauf que les universités ne peuvent pas le faire au détriment des autres aspects de la formation.
«Les universités tiennent à s'assurer que les technologies sont pérennes, dit M. Balaban. Elles ne veulent pas changer la formation et développer de nouveaux cours chaque année. Elles bougent moins rapidement, elles ne peuvent pas réagir aussi vite que l'industrie.»
L'avènement de technologies comme la MDB, qui transforment le travail des architectes plutôt que de simplement l'informatiser, demandera également une réflexion, à savoir comment les enseigner.
Plus concrètement, l'intégration des outils MDB à la formation est un défi puisque ceux-ci se veulent holistiques, c'est-à-dire qu'ils traitent de l'ensemble des aspects d'un projet, des dessins à la communication avec les entrepreneurs en passant par les coûts et les échéanciers. Sauf que la formation, elle, ne peut qu'enseigner un sujet à la fois. «C'est difficile d'intégrer aux cours dès le départ les outils de MDB parce que cela impose aux étudiants d'en connaître plus que ce qu'ils connaissent déjà», explique M. Balaban.
Pour le moment, les outils de MDB sont donc intégrés à la formation universitaire en milieu de parcours. Selon M. Balaban, cela risque cependant de changer d'ici quelques années.
Selon lui, les outils prendront éventuellement leur place dès le début du processus pédagogique. «Je crois que l'on enseignera de plus en plus l'architecture de façon holistique, en suivant la logique des logiciels MDB, dit-il. Les universités devront toutefois trouver une manière de le faire, alors ça prendra un certain temps.»
MDB : pas le seul besoin
François Dufaux, le directeur de la maîtrise en sciences de l'architecture à l'École d'architecture de l'Université Laval, reconnaît les besoins de formation aux outils de MDB. Il met toutefois ceux-ci en perspective. Les projets réalisés en MDB sont surtout les grands projets publics ou parapublics.
«Ça implique un champ de pratique et un nombre de firmes assez restreint, dit M. Dufaux. Le secteur public, ça représente peut-être 40 % de la commande au Québec. Ailleurs dans l'industrie, soit dans le secteur résidentiel, commercial ou industriel, les outils de MDB sont moins importants.»
L'enjeu de l'intégration des outils MDB à la formation universitaire est donc, selon lui, pour la profession dans son ensemble, plus secondaire. L'industrie l'a par exemple approché nettement plus souvent pour demander de meilleures formations en construction, plus précisément en construction traditionnelle de bâtiments anciens et modernes, que pour demander la mise en place de formations MDB.
Les écoles du Québec, par exemple, ont besoin d'être rénovées, et les architectes ont un besoin plutôt urgent de savoir comment elles ont été construites pour mieux les réparer, illustre M. Dufaux. «Pour beaucoup de bureaux, c'est plutôt là que se trouvent les véritables enjeux : comprendre la construction des bâtiments, pas de produire des plans.»