Il y a 11 ans, à tout juste 34 ans, le jeune Canadien Derek Foster quittait la «rat race», l’expression anglo-saxonne consacrée du métro-boulot-dodo. Enfin l’indépendance financière. Finie la course effrénée du travailleur pour arriver à joindre les deux bouts. Comment y est-il arrivé ? Entretien avec un « idiot millionnaire », comme il aime à se décrire.
Derek Foster s’assume pleinement comme « idiot millionnaire », ayant l’air de dire : « Qui berne qui, au final ? C’est moi, le retraité ! »
Ils sont légion les salariés qui rêvent de s’affranchir des contraintes d’un gagne-pain. Lui l’a fait et vit le rêve depuis 11 ans. Son bye-bye boss, il ne le doit pas à un billet de loterie. Plutôt à l’épargne forcée, à ses goûts frugaux, au marché boursier et à une touche de chance.
Épargner plutôt que travailler
L’histoire s’amorce alors que le jeune Foster vivote d’un emploi à l’autre. Il étudie en comptabilité, mais la matière ne l’intéresse guère. Il préfère dresser sa liste de choses à faire avant de mourir : faire du saut à l’élastique (bungee), écrire un livre, faire du bénévolat, entraîner une équipe de football, visiter tous les continents...
Son superviseur lui prête un jour un bouquin qui s’avère décisif : Un barbier riche, de David Chilton. « C’est à ce moment-là, à 22 ans, que j’ai décidé d’investir sérieusement pour essayer de prendre ma retraite le plus tôt possible », écrit-il dans son ouvrage à succès Stop Working Now (Foster, Underhill Financial Press).
« Pourquoi ne pas vouloir travailler ? » demande le journaliste. « Je n’ai jamais vraiment aimé travailler, répond-il. Si le travail était si plaisant que ça, les employeurs n’auraient pas à vous payer pour le faire, non ? À moins qu’on m’offre un emploi d’entraîneur dans la NFL [la Ligue nationale de football], c’est très peu probable que je retourne sur le marché du travail. »
Cette attitude est en phase avec sa lecture du système fiscal. « La pire façon de faire de l’argent au Canada, c’est d’avoir un travail. » Il énonce les cotisations liées à la rente (Régime des rentes du Québec) et à l’assurance-emploi, l’impôt à payer à son taux marginal. « Quand vous investissez, le coût fiscal est moindre. Sans compter les dépenses collatérales que vous évitez : le transport, le stationnement, le café, le lunch, les vêtements, etc. »
Le jeune Foster commence tôt à épargner. À raison de 200 $ par mois, au minimum. Il y ajoute tous les extras qu’il gagne en sus des cadeaux ou autres primes, et place le tout dans des fonds communs de placement.
Après d’autres lectures, dont celles d’investisseurs de renom comme Peter Lynch et Warren Buffett, il décide de gérer lui-même ses économies en achetant directement des titres. Aujourd’hui, il affirme que son portefeuille ne comprend que des actions, et donc aucune obligation. « Le seul moment où vous devriez investir dans des fonds communs de placement, c’est lorsque vous commencez à investir et que votre pécule est insuffisant pour être bien diversifié », écrit-il.
Un épargnant discipliné
Après ses études, Derek Foster décide de voyager à l’étranger, façon randonneur. Il ne dévie cependant pas de son mode épargne. « Avant de partir en Australie, fidèle à ma résolution, j’ai déposé 2 400 $ dans mon compte de courtage afin d’épargner pour l’année où je serais parti. » La règle qu’il s’impose religieusement : toujours se payer avant.
Il admet n’avoir jamais gagné de gros salaires, ni fait de sacrifices majeurs, ni même avoir budgété ou compté chacun de ses sous. Mais, coûte que coûte et mois après mois, il épargnait et investissait cette épargne.
La chance lui sourit à la mi-vingtaine. Il joue gros avec le titre de Philipp Morris à une période où les compagnies de tabac font l’objet de poursuites. Après une recherche approfondie, il y investit tout son pactole et même des sommes empruntées. Son portefeuille double en six mois. « C’était stupide. Je ne le referais pas », lance-t-il.
Miser sur des sociétés solides
Aujourd’hui, Derek Foster dit avoir modifié sa stratégie et se considère comme un investisseur misant sur les titres de valeur ayant un horizon à long terme. À l’instar de ses mentors, il investit dans ce qu’il appelle des sociétés béton, qui dominent leur secteur d’activité et affichent un historique de versements de dividendes.
Il se tient loin des sociétés technologiques populaires. « J’aime les entreprises qui offrent un service que l’on doit utiliser rapidement et souvent, comme Colgate-Palmolive, Coca-Cola et Tim Hortons. Ce sont des entreprises téflon, presque immunisées contre les secousses économiques. » Au Québec, il aime bien BCE et la Banque Nationale, et il reconnaît le potentiel d’Alimentation Couche-Tard, malgré un dividende plus faible.
Derek Foster ne prétend pas savoir ce dont sera fait le monde dans 10 ans. Ni ce qu’il adviendra de Facebook. « J’investis dans des entreprises que je comprends et qu’un enfant pourrait illustrer avec un crayon. Il y a de fortes chances, par exemple, que les gens aient besoin de se brosser les dents demain et pour les années à venir. »
Malgré l’apparente confiance qu’il voue à sa stratégie d’investissement, le jeune retraité ontarien a cédé au contexte d’insécurité qui prévalait en 2008. À l’aube de la crise financière, il liquide tout son portefeuille. « C’était vraiment une chose stupide à faire, reconnaît-il en rétrospective. Heureusement, j’ai pu racheter mes titres à un prix plus bas que celui auquel je les avais vendus. Et j’ai profité de la hausse du dollar américain. »
L’homme de 44 ans ne se raconte pas d’histoire : « J’ai tenté de prédire le marché. Au final, ça a été un bon coup. Pas parce que j’ai été malin, mais parce que j’ai été chanceux. »
Complètement réinvesti dans le marché depuis la débâcle boursière, il dit accorder régulièrement du temps à la gestion de son portefeuille, composé de 24 ou 25 titres. « Non pas que cela soit exigeant, mais j’aime ça. »
Le CELI, un atout pour la nouvelle génération
Il est conscient qu’il fera encore des erreurs comme investisseur. Après les virevoltes récentes, il juge néanmoins avoir une bonne stratégie d’investissement. « Certains disent que c’est risqué, car une société peut couper ses dividendes. Soit, mais si une flanche, j’en ai d’autres. C’est un luxe que n’a pas le salarié. »
Si c’était à refaire, Derek Foster ne changerait pas grand-chose à son parcours. Au jeune homme qu’il était, il dirait : « Tu en sais moins que ce que tu crois ».
Aux jeunes qui souhaitent l’imiter, il rappelle l’importance des intérêts composés et la magie de l’accumulation du capital. « C’est difficile au début de voir le portrait général. C’est comme la culture physique, ce sont les petits gestes quotidiens qui comptent à long terme. »
Il considère que la nouvelle génération a un avantage qu’il n’avait pas : celui de pouvoir commencer à investir tôt à l’intérieur d’un compte d’épargne libre-impôt (CELI). « Tout cet argent investi pourra croître à l’abri du fisc pendant longtemps. »
Entre ses interventions dans les médias et ses conférences, Derek Foster passe le plus clair de son temps à la maison, où il fait l’école à ses enfants, écrit des livres et rédige des infolettres gratuites pour les abonnés de son site Internet www.stopworking.ca. Il a déjà signé six ouvrages (exclusivement en anglais). « C’est six livres pour six enfants », rigole-t-il