Ne nous mettons pas la tête dans le sable: l’aéroport de Montréal n’est pas au bout de ses peines.
Nous avons appris récemment qu’il a glissé, en termes d’achalandage, au quatrième rang au Canada derrière Toronto, Vancouver et maintenant Calgary. Ses dirigeants soutiendront que le nombre total de passagers a augmenté: la réalité n’en demeure pas point que Montréal recule.
L’histoire de ses malheurs est longue, depuis en fait la saga de Mirabel au milieu des années ’70. Au fait, connaissez-vous dans le monde un autre endroit où l’on a mis la clé dans la porte d’un aéroport presque tout neuf, bien équipé, avec de grandes réserves foncières d’expansion? Si oui, appelez-moi, je vous paierai un verre.
Les dirigeants de Pierre-Elliot-Trudeau pourront faire étalage de tous les investissements, agrandissements et transformations qu’a connus l’aéroport au cours de la dernière décennie, rien n’y fera: son ciel s’annonce bouché. Et son avenir plein de lamentations.
Voyons de plus près.
• Un problème est partagé par l’ensemble des aéroports sous juridiction fédérale: les loyers et les taxes grèvent la rentabilité de ces équipements. P.-E.-Trudeau n’y échappe pas. Entre nous et le fond de la boîte à bois, il faudrait que le gouvernement canadien constate que les aéroports – notamment les aéroports internationaux – ne sont pas que des sources de rentrées fiscales mais des outils de développement local et régional très importants. L’érosion de la clientèle au profit d’aéroports limitrophes au sud de la frontière (Burlington et Plattsburg dans le cas de Montréal) en est une éloquente illustration.
• P.-E.-Trudeau n’a plus d’espace d’expansion. À moins qu’on construise des pistes ou des hangars sur le Saint-Laurent... Y croyez-vous?
• À cet aspect se greffe celui des plages horaires d’utilisation. L’aéroport n’est pas à la campagne mais au coeur d’un tissu urbain de plus en plus serré. Bien sûr, les moteurs des oiseaux de métal sont moins bruyants que naguère mais convenons qu’ils émettent quand même des décibels. Ces décibels indisposent les résidents des alentours. Pour toutes sortes de raisons, les envolées et décollages débordent, souvent tard dans la nuit ou tôt, le matin les plages horaires autorisées. Elles constituent des sources d’irritation. Vous pensez vraiment qu’il n’y aura pas de grabuge bientôt?
• L’aéroport n’a pas de navette ferroviaire directe avec le centre-ville de Montréal. Ce qui est inadmissible. On se croirait aux îles Mouc-Mouc. Aucun aéroport d’une ville de taille similaire sur cette planète ne vit pareille situation. Les gouvernements ont dormi su’la switch. Les autorités de P.-E.-Trudeau également. Un jour, un administrateur m’a dit, tout empreint de ses convictions: «Les liaisons terrestres, ce n’est pas notre problème. Notre domaine, ce sont les avions.» La mentalité a changé, je sais, mais une telle façon de voir les choses a eu trop longtemps son impact.
• Que dire du réseau routier? Un mot résume la situation: calamité. Ne parlons pas de l’échangeur Turcot. La congestion au rond-point Dorval est à faire pleurer: depuis combien d’années ceux qui y passent sont-ils contraints de zizaguer entre des centaines de cônes oranges? Depuis combien d’années sont-ils condamnés à y perdre du temps? Pendant combien d’années devront-ils encore patienter? La performance de l’aéroport s’en ressent et continuera de s’en ressentir.
Permettez-moi enfin de souligner une autre dimension de l’aéroport de Montréal: la question linguistique.
– Le vrai nom de la métropole québécoise est Montréal et non Montreealll comme le claironnent à satiété les hauts-parleurs de l’aéroport. Quand vous débarquez à Heathrow, on vous souhaite la bienvenue à London et non à Londres; à Charles-de-Gaulle, on dit Paris et Pâriss; de même, à Fiumicino, c’est Roma et non Rome. Multipliez vous-mêmes les exemples.
– La musique de fond (qui peut parfois être assez forte) est exclusivement en anglais. Un peu de musique issue d’ici ne tuerait personne et permettrait aux passagers de constater qu’ils sont dans l’aéroport d’une ville majoritairement francophone.
– Il y aurait un effort à faire sur la langue d’usage. Combien de fois un employé va s’adresser d’abord aux gens en anglais? Je ne nie pas que cette langue soit devenue la Iingua franca du voyage. Mais il est élémentaire de rappeler, dès le premier contact, que P.-E.-Trudeau est l’aéroport de Montréal.
– Je suis un utilisateur assidu de l’aéroport. À chaque fois, j’ai l’impression d’être quelque part aux États-Unis ou au Canada. La langue d’usage concerne aussi les employés de l’aéroport. Pourquoi ne pas les encourager fortement à échanger entre eux le plus possible en français?
Cette question de langue n’est pas anodine. Affirmer le fait français à l’aéroport de Montréal ne conduira pas à la ruine. Cela fait partie du produit d’appel. Et de notre prospérité collective.