(Photo: André François McKenzie pour Unsplash)
Un texte de Philippe Labrecque
Après avoir acheté pour 475 millions de dollars américains ($ US) de bitcoins en octobre dernier, Michael Saylor, PDG de MicroStrategy, avait déclaré, à propos du bitcoin : « Je n’en achète pas pour les vendre, jamais. » Cette posture est partagée par une fraction significative des détenteurs de bitcoins, surtout les plus fanatiques, mais pas seulement.
Ne « jamais vendre » peut sembler être l’antithèse d’une stratégie d’investissement pour celui espérant obtenir un rendement, c’est-à-dire réaliser un profit lors de la vente d’un actif. Pourquoi donc une idée en apparence si contradictoire se répand-elle ? Quelques facteurs expliquent ce phénomène.
1. Les prévisions du prix du bitcoin
Le prix du bitcoin s’envole, atteignant de nouveaux sommets presque quotidiennement, dépassant les 29 000 $ US en date du 31 décembre 2020, soit une augmentation de plus de 300 % depuis le 1er janvier de la même année.
L'engouement ne semble pourtant n’en être qu’à ses débuts. Pour une multitude de raisons qui se résument en partie à une adoption grandissante, surtout au niveau des grandes institutions financières et du monde de l’investissement, plusieurs analystes prédisent un prix atteignant 100 000 $ par bitcoin d’ici la fin de 2021, au moins, et un prix oscillant autour d’un million $ en 2025.
La loi de l’offre et de la demande est à l'œuvre alors que la quantité de bitcoins disponibles sur les marchés d’échanges diminue rapidement, indiquant que plusieurs détenteurs parient que ces prédictions de hausse vertigineuse du prix du bitcoin se réaliseront en 2021 et au-delà. De plus, les nouveaux bitcoins créés (ou minés, dans le jargon des cryptomonnaies) se font à peu près tous acheter instantanément par des grands fonds et souvent les mineurs préfèrent même les garder pour eux-mêmes en prévision de prix plus élevés, réduisant davantage la quantité actuelle de bitcoins auquel les acheteurs ont accès.
2. Les banques centrales et la création d’argent
Les prévisions incroyables du prix du bitcoin s’expliquent partiellement par l’augmentation record de la masse monétaire partout dans le monde alors que de février à mai 2020 seulement, les différentes banques centrales du monde ont imprimé 9000 milliards de dollars américains, sans compter la quantité imprimée depuis.
Proportionnellement à cette création d’argent massive, une dette gigantesque, insurmontable peut-être, des différents États prend forme. De plus, la menace d’une l’inflation marquée nous guette, surtout au niveau des actifs, quoique moins au niveau des biens de consommation. Difficile d’expliquer la forte hausse des marchés boursiers, des métaux précieux et de l’immobilier depuis mars 2020 en pleine période de pandémie et de crise économique sans mentionner des taux d’intérêt à leur plus bas en 4 000 ans comme le vétéran analyste de Wall Street, James Grant, le mentionne.
Si l’on adhère à la thèse que le bitcoin agit comme valeur refuge, principalement contre l’inflation, qu’il représente la version numérique de l’or, alors le montant pharaonique des dettes et de la création d’argent sont des facteurs qui risquent fortement de pousser les investisseurs et les épargnants vers un actif comme le bitcoin dans l’espoir de protéger leur pouvoir d’achat, poussant le prix du bitcoin vers le haut.
3. Naissance du secteur cryptobancaire
Posséder un actif comme le bitcoin qui voit son prix monter en flèche représente un dilemme pour l’investisseur qui aimerait profiter de ses gains actuels sans avoir à vendre ses actifs et potentiellement ne pas bénéficier de la hausse anticipée des actifs en question.
L’émergence d’un écosystème de nouvelles institutions ayant développé une gamme de services financiers spécifiques aux cryptomonnaies offre une solution à ce problème en permettant d’emprunter en dollars ou autres devises par l’utilisation des dites cryptomonnaies comme garanties ou bien obtenir un revenu d'intérêt en prêtant celles-ci à ces institutions.
Même s’ils en sont encore à leur début, certaines entreprises comme BlockFi et Celsius Network, qualifiées d’institutions de finances centralisées (dit CeFi, en anglais, pour centralized finance) et en se basant sur le modèle de prêt de titres (plus risqué qu’un simple dépôt dans un compte épargne, disons-le), permettent d’utiliser ses actifs en bitcoins pour obtenir du capital sans avoir à les vendre, un avantage important quand on croit à une hausse future significative du prix du bitcoin. Même que pour plusieurs investisseurs en bitcoin, ce capital emprunté sera réinvesti en achat supplémentaire de bitcoin, créant une sorte de boucle de rétroaction qui pourrait prendre de l’ampleur si celle-ci se répète suffisamment chez plusieurs investisseurs.
À cette gamme de services, nous pouvons ajouter l’univers naissant du DeFi (Decentralized finance) qui représente une forme de services financiers P2P. Un exemple concret du DeFi serait celui d’un particulier prêtant un montant quelconque à un autre particulier directement par l’entremise d’un contrat intelligent enregistré par le blockchain tout en utilisant une cryptomonnaie comme garantie, excluant donc toute interaction avec une institution bancaire traditionnelle.
Le DeFi reste tout de même une proposition très marginale et d’une certaine complexité pour l’utilisateur non initié, ce qui rend son potentiel limité, pour l’instant, mais offre tout de même une façon de capitaliser sur le prix du bitcoin sans avoir à le vendre.
Même s’ils n’en sont qu’à leur début, le Cefi et le DeFi démontrent un potentiel énorme et un usage en forte croissance alors que leur gamme de services financiers devrait croître au courant des prochaines années alors que certains proposent déjà des hypothèques. Cette nouvelle offre de services financiers permet surtout aux détenteurs de bitcoin de ne pas vendre leurs actifs en cryptomonnaies tout en accédant aux capitaux que ceux-ci représentent.
Pour le meilleur ou pour le pire, le système bancaire conventionnel ne reconnaît toujours pas le bitcoin comme actif et n’offre donc pas de services liés aux cryptomonnaies, ce qui ouvre la porte à l’épanouissement de ce nouveau secteur cryptobancaire. Il n’est pas impossible que certaines banques traditionnelles tentent de concurrencer ces nouvelles cryptobanques, ou qu’elles veulent, finalement, répondre aux besoins de leurs clients détenteurs de bitcoin, en offrant des services liés aux cryptomonnaies dans un futur rapproché, augmentant davantage les possibilités de capitaliser sur la valeur monétaire de ses bitcoins autrement qu’en s’en départissant.
4. Du bitcoin au satoshi
Il est pertinent de rappeler qu’il n’y aura jamais plus de 21 millions de bitcoins en circulation et le nombre de nouveaux bitcoins créés est réduit de moitié tous les quatre ans et ce jusqu’en 2140, créant un choc de l’offre qui favorise, en théorie, une hausse de la valeur du bitcoin au fil des années. À ceci on ajoute les éléments mentionnés plus haut et on peut rationnellement, sans tomber dans le fanatisme que plusieurs fervents du bitcoin démontrent, entrevoir la valeur future substantielle du bitcoin et comprendre que certains ne désirent pas vendre leurs bitcoins à court ou moyen terme.
La valeur du bitcoin pourrait se mesurer outre son prix, alors que la possession de bitcoins pourrait devenir la carte maîtresse d’un portfolio représentant la monnaie la plus forte dans un monde où la valeur des devises nationales s’écroule, où la dette nous étouffe.
Dans un futur pas si lointain, où le prix d’un bitcoin complet se chiffre dans les centaines de milliers de dollars, si ce n’est au-delà d’un million de dollars, il est probable que le vocabulaire autour du bitcoin change et qu’on parle de l’achat de satoshis, la sous-unité du bitcoin. Comme un dollar se divise en 100 cents, le bitcoin se divise en 100 millions d’unités qu’on nomme des satoshis.
Déjà, la grande majorité des détenteurs (à peu près 98%) possèdent moins d’un bitcoin complet et expriment leurs avoirs par une virgule, soit “0,5” bitcoin, ou 50 millions de satoshis, par exemple. Étant donné la hausse rapide du prix du bitcoin, on peut raisonnablement s’attendre à ce que peu d’investisseurs puissent acheter un bitcoin complet d’ici peu.
Si la majorité des achats et ventes de bitcoin se mesurent déjà en fractions de bitcoin, et si son prix atteint les sommets attendus, 2021 pourrait représenter le début d’une nouvelle ère, celle où l'achat et la vente d’un bitcoin complet deviendront un événement rarissime. Nous assisterons donc peut-être à la vente du dernier des bitcoins.