(Photo: Zakaria Zayane pour Unsplash)
CHRONIQUE. Depuis un an, la valeur des contrats à terme sur le gaz naturel a été multipliée par six au Royaume-Uni et aux Pays-Bas, les deux étalons de mesure du marché gazier européen sur l’ICE Futures Europe, à Londres. La crise énergétique est donc grave, mais elle n’effraie pas des entreprises québécoises implantées là-bas et qui s’adaptent.
Détrompez-vous si vous pensez que cette inflation des prix est un effet rattrapage en raison de la reprise économique, près de deux ans après le début de la pandémie. Les prix ont été stables entre octobre 2019 et le début du printemps 2021. C’est à partir de l’été dernier qu’il y a eu un décrochage et une explosion rapide des cours.
Cette hyperinflation tient essentiellement à quatre facteurs structuraux :
1. Les réserves stratégiques de gaz naturel sont basses en Europe, notamment au Royaume-Uni. Il y a trois ans, le pays gardait des réserves de 15 jours en prévision de l’hiver. Aujourd’hui, elles sont de quatre à cinq jours, souligne l’agence Reuters.
2. Les bassins producteurs de gaz sont en déclin en Europe, avec une production qui a chuté de 30 % depuis 10 ans, selon le « Statistical Review of World Energy 2021 », publié par BP. L’Europe importe aujourd’hui 90 % de son gaz naturel.
3. La demande a explosé en Chine. Selon la firme américaine d’analyse en risque politique Eurasia Group, le pays convertit chaque année plus de 15 millions de foyers chinois au gaz, soit la demande combinée des Pays-Bas et de la Belgique !
4. La Russie — qui fournit à l’Europe plus du tiers de ses approvisionnements gaziers — refuserait d’y augmenter ses exportations afin d’accroître son influence politique, selon des analystes cités dans le « Financial Times » de Londres. Depuis l’annexion de la Crimée par la Russie en 2014 (cédée à l’Ukraine par l’ex-Union soviétique en 1954), les relations avec l’Europe sont difficiles.
Des entreprises réduisent leur production
La hausse des prix du gaz naturel est à ce point sévère que des entreprises européennes ont dû réduire leur production, car leurs activités n’étaient plus rentables au maximum de leur capacité.
Le fabricant norvégien de produits chimiques Yara International fait partie du nombre. Le 17 septembre, il a indiqué qu’il diminuait sa production d’ammoniaque d’environ 40 % en Europe.
« Les prix record du gaz naturel ont un impact sur les marges de production d’ammoniaque et, par conséquent, Yara réduit la production de plusieurs de ses usines », écrit l’entreprise dans un communiqué, qui n’exclut pas d’autres réductions.
Mauvaise nouvelle pour les entreprises en Europe : même si les prix du gaz diminueront l’été prochain, ils risquent de demeurer volatiles et élevés à long terme, car les facteurs structuraux ne peuvent pas changer à court terme.
À l’exception du niveau des exportations de gaz naturel de la Russie en Europe.
Comment BRP gère la crise en Europe
Malgré tout, des entreprises québécoises présentes en Europe ne comptent pas changer leur planification stratégique, en augmentant par exemple leur production en Amérique du Nord où les prix du gaz naturel demeurent bas.
C’est notamment le cas du fabricant de produits récréatifs BRP, qui a une usine en Autriche et en Finlande. « Nous sommes engagés dans nos installations en Europe, dans nos gens et dans les communautés que nous avons bâtis », insiste dans un courriel l’entreprise de Valcourt, en Estrie.
BRP a lancé plusieurs initiatives pour limiter l’effet des prix élevés du gaz sur ses activités en Europe. La société négocie des taux fixes avec ses fournisseurs de gaz naturel afin d’assurer la prévisibilité des coûts. Elle a aussi amorcé des projets pour réduire ses dépenses énergétiques, en utilisant par exemple la chaleur générée par ses machines de production pour chauffer les usines.
Néanmoins, la crise énergétique accroît ses coûts de production et gruge sa marge bénéficiaire. Pour autant, BRP ne prévoit pas « un impact significatif » sur sa rentabilité pour l’ensemble de 2021.
D’autres entreprises manufacturières québécoises présentes en Europe subissent aussi la crise énergétique.
En revanche, elles affirment que l’effet est limité, soit parce que leur consommation de gaz se limite au chauffage de bâtiments (et non pas à la chauffe dans leur procédé de production), soit parce que l’effet se transmet par les prix de l’électricité, qui est influencé par les cours gaziers.
Le fabricant montréalais d’équipements médicaux Medicom, qui a une usine au Royaume-Uni et en France, se retrouve dans le premier scénario : sa consommation de gaz se limite à chauffer un entrepôt.
STAS, un équipementier pour l’industrie de l’aluminium de Saguenay, est pour sa part dans le second scénario, confie son président, Louis Bouchard. « Notre usine près de Grenoble ne consomme pas de gaz naturel, mais nous sentons l’impact de la crise en raison de la hausse des prix de l’électricité, même si elle est réglementée en France. »
Cette hausse des prix de l’électricité n’est pas terminée, car le gouvernement français a annoncé fin septembre que les tarifs réglementés allaient augmenter de 12 % au début de 2022.
Malgré les hausses des prix de l’énergie, les entreprises québécoises présentes en Europe n’ont pas l’intention de déroger à leur plan de match sur ce marché.
Aussi, s’il y a une leçon à tirer pour les autres qui songent à s’y implanter un jour, c’est qu’il y a des avantages importants à s’établir sur un autre continent pour se rapprocher de ses clients.
Et qu’il faut plus beaucoup plus que l’explosion des prix de l’énergie pour rendre ces avantages caducs.