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Le gouvernement du Canada évalue la nécessité d’imposer des quotas pour la participation des femmes aux conseils d’administration. Cela se fait déjà dans de nombreux pays.
Le 1er juin dernier, j’ai donc été invitée à témoigner en commission parlementaire auprès du comité permanent de la condition féminine. Le thème du témoignage qu’on exigeait de moi était celui de La sécurité économique des femmes au Canada. Le thème est vaste et on ne nous donne aucune balise, aucun critère. La seule exigence est de faire un exposé de sept minutes et de participer à un échange pour le reste de l’heure avec les députés libéraux, conservateurs et NPD, membres du comité permanent de la condition féminine.
Des députés renseignés et très ouverts
J’ai choisi de partager mes connaissances relatives à l’impact des quotas de femmes dans les CA dans différents pays du monde. Ce thème étant souvent mal-aimé. Grande fût ma surprise quand j’ai réalisé le niveau d’ouverture à ce sujet, de la part des députés, tous partis confondus. En effet, la première partie de la rencontre (le témoignage lui-même) se veut un peu un monologue et on ne sait pas forcément ce qui est attendu de nous ni l’accueil qui sera réservé à nos propos. Ayant une vaste expérience de conférencière, j’ai depuis longtemps appris à lire une salle et le non-verbal était assez criant : ces hommes et ces femmes approuvaient mes paroles et semblaient même satisfaits d’entendre ce que j’avais à dire un peu comme si j’apportais de l’eau à leur moulin.
On me disait qu’on cherchait à entendre le témoignage d’experts dans le domaine de différentes provinces canadiennes pour documenter et étoffer d’éventuelles recommandations.
Voici ce que j’ai partagé en commission parlementaire
1- Se comparant avec les quatre provinces les plus peuplées du Canada, le Québec figure aujourd’hui au premier rang en matière du nombre d’emplois détenus par des femmes alors qu’il y a 16 ans, la province se classait en queue de peloton à ce chapitre. La politique familiale québécoise n’est certainement pas étrangère à ces avancées. En revanche la situation dans les organes décisionnels n’est pas très différente du reste du Canada où, selon Catalyst, les femmes, qui constituent pourtant 47,3% de la main d’œuvre, ne représentent que 5,3% des chefs d’entreprises.
2- Les sociétés canadiennes de l'indice TSX 60, les 60 plus importantes entreprises cotées en bourse, n'ont parmi elles qu'une seule femme qui est chef de direction et 20% de femmes au Conseil, ce qui est inférieur à bien d'autres pays membres de l'OCDE. Cette représentation féminine par ailleurs est encore plus faible (15,9%) pour ce qui est des sièges des conseils des sociétés du FP500.
3- Comme la diversité dans les CA et dans les équipes de haute direction est liée à la performance des entreprises, le manque à gagner dû à la faible présence des femmes dans ces postes est nuisible pour l’ensemble de l’économie canadienne.
4- Les recherches prouvent qu’il ne manque pas de femmes compétentes et expérimentées pour occuper les postes dans les organes décisionnels des entreprises De plus, l’intérêt à occuper ces postes est fort parmi les femmes en gestion. Or, c’est entre les postes de direction et de haute direction que beaucoup de femmes n’arrivent pas à faire le saut. Cela est notamment dû d’une part à l’absence de « sponsors » qui offriraient plus que des conseils, mais soutiendraient concrètement l’avancement de carrière de ces femmes (les hommes aux postes similaires, ont 46% plus de chances d’avoir un tel sponsor) et d’autre part au faible soutien du monde corporatif vis-à-vis de la conciliation vie professionnelle - vie familiale.
La députée française Marie-Jo Zimmermann, à l'origine de la loi Copé-Zimmermann sur les quotas féminins dans les CA
Comment peut-on corriger cette situation?
5- Une des solutions serait de mettre en place des stratégies à tous les échelons. En effet, nous ne pouvons pas obtenir davantage de femmes à des postes de direction sans soutenir les femmes à tous les niveaux de leur carrière.
6- La divulgation sans objectifs fixes n’a pas de réel impact sur l’augmentation des femmes dans les CA. La règlementation « se conformer ou s’expliquer » (comply or explain) de l’Autorité des Marchés Financiers a d’ailleurs démontré des résultats fort tièdes. Pourquoi le progrès semble-t-il si lent au Canada par rapport à l’Europe? La réponse est simple: les quotas !
7- J’ai cité le cas de la France qui, grâce à la Loi Copé-Zimmermann prévoyant 40% de femmes dans les CA dès 2017, a fait des pas de géant. Rappelons qu’en 2010 la France et le Canada en étaient au même stade: 12% de femmes dans les conseils, et qu’en 2017 la France est en voie d’atteindre les 40% ! Marie-Jo Zimmermann, la députée qui a écrit cette fameuse loi, m’avait d’ailleurs reçue à l’Assemblée Nationale à Paris il y a 18 mois. Mon témoignage de nos faibles résultats en matière de l’atteinte de la parité avait surpris l’audience puisque le Canada est vu dans le monde comme étant avant-gardiste.
8- J’ai aussi parlé de la Norvège où la Loi touche plus de 200 compagnies publiques. La proportion de femmes dans ces conseils est passée de 12% en 2006 à 42% en 2014. Ce qui est encore plus frappant quand on compare cette performance stellaire à celle des 250,000 entreprises privées que la Loi ne touche pas, c’est que les femmes dans ces conseils n’ont progressé que de 16% en 2006 à 18% en 2014. Cela démontre bien que sans législation il ne se passe pas grand-chose !
9- J’ai rappelé aux députés fédéraux l’impact fulgurant de la législation qui vient de chez nous cette fois-ci. En effet, au Québec en 2007 sous le gouvernement Charest, la Loi sur la gouvernance des sociétés d'État a permis en cinq ans une augmentation significative des femmes de 27,5 % à 52,4 % dans les conseils de ces 22 sociétés.
Faut-il conclure que quand on légifère on trouve des femmes et quand on ne légifère pas on trouve des excuses? C’est indéniable !
Ironique de penser qu’une ministre provinciale que je ne nommerai pas, et qui se dit ouvertement contre les quotas, avait bénéficié à l’époque de cette loi pour accéder au CA d’une de ces sociétés d’état. Vous connaissez le concept des femmes qui ferment la porte derrière elles?
Les députés ne sont pas dupes
Les députés ont très mal accueilli le témoignage précédant le mien d’une femme qui suggérait qu’on aurait des femmes incompétentes dans les CA si on imposait une loi. Hommes comme femmes présents trouvaient aberrant que qui que ce soit (a fortiori une femme) tienne ce genre de propos.
J’ai clairement senti les députés convaincus eux-mêmes et en mode recherche-réflexion-analyse. Je n’ai jamais rencontré une telle ouverture à la question. Cela augure bien pour que le Canada se classe enfin au rang des nombreux pays qui ont permis une accélération de l’avancement de la femme grâce à l’imposition par une loi de l’entrée d’un certain pourcentage (idéalement 40%) de femmes dans les CA.
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